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Les conséquences de l'hiver 1709
d'après les récits du curé de Colombier-en-Brionnais

Photographies des registres paroissiaux par Jean Sailley
Colombier-en-Brionnais en 1709 / 1

Premier récit : Dans l'année 1709 le fort de l'hyvert se prit la veille des roys par une rigoureuse bize et par une forte gelée qui dura le reste du mois et davantage. Le froid fut si terrible et si cruel que les noyers, les châtaigniers, les cerisiers et quantité d'autres arbres moururent ; mais le plus grand mal fut que les froments et les seigles gelèrent en terre et se perdirent entièrement. Ce qui causa une chère année qui n'a guère eue de semblables car la famine fut si grande que l'on fut contraint de manger pendant longtemps du pain de fougère et de gland, et que la cinquième partie du peuple mourut de faim, surtout les petits enfants. Enfin l'on ne peut se ressouvenir d'un si triste temps que les cheveux n'en hérissent, surtout quand l'on se remet devant les yeux comme la faim avait défiguré le visage des pauvres qui étaient hideux et épouvantables à voir, qui jettaient sans cesse des cris dignes de compassion, et qui tombaient souvent morts par les chemins. Dans la paroisse de Collombier qui est de 200 communiants tout au plus, on y fit depuis Pâques (31 mars) jusqu'à la Saint-Martin (11 novembre) 72 enterrements, les deux tiers de petits enfants. Gauteron, curé.


Colombier-en-Brionnais en 1709 / 2

Autre récit : Dans l'année 1709, le fort de l'hyvert se prit la veille des Roys, 5 janvier, par une rigoureuse et épouvantable bize, et par une cruelle gelée qui dura le reste du mois : le froid fut si rude et si terrible que les noyers, les châtaigniers, les cerisiers et quantités d'autres arbres moururent, mais le plus grand mal fut que les froments et les seigles gelèrent en terre et se perdirent, ce qui causa cette chère année et cette chèreté de grains qui n'a guère eue de semblables, car la famine fut si grande que l'on fut contraint de manger pendant longtemps du pain de fougère et de gland, et que la cinquième partie du peuple (et même davantage) mourut de faim, surtout les petits enfants. Enfin l'on ne peut se ressouvenir d'un si triste temps que l'on ne tremble et que les cheveux n'en hérissent, surtout quand l'on se remet devant les yeux, comme la faim avait défiguré le visage des pauvres et même de quantité de personnes de commodes et aisées qui, par malheur, ne se trouvèrent point de grain : ceux qui souffraient la faim étaient noirs, hideux et épouvantables, et jetèrent des cris qui faisaient compassion, même souvent ils tombaient morts, marchant par les chemins : le froment valut jusqu'à dix livres le boisseau, le seigle 7 livres 10 sols, le vin se trouva encore si rare que le meilleur marché était cent livres la botte ; les meilleurs maisons n'avaient que du cidre pour leur boisson, et il y eut des prestres qui furent contraints de s'abstenir de dire la messe faute de vin. Dans la paroisse de Colombier où il n'y a guère que 200 communiants ou environ, on y fit depuis Pâques jusqu'à la Saint-Martin soixante et douze enterrements les deux tiers d'enfants. Gauteron, curé.

Autre écrit du curé de Colombier-en-Brionnais :

En dépouillant les registres paroissiaux de la commune de Colombier-en-Brionnais, on a découvert, dit L'Union républicaine de la Creuse, deux sonnets dus à la plume du curé Gauteron, qui au dire d’un historien bourguignon, « avait d’écrire une rage incurable. »

EN FAVEUR DU SEXE

Premier sonnet.

Lorsque le créateur, finissant son ouvrage,
De ses rares beautés fit le portrait vivant.
L’homme estoit trop heureux, au sortir du néant,
De porter sur son front cette divine image.
Le monde tout entier estait son appanage.
Sur tous les animaux son pouvoir estoit grand.
Le sort ne souffrit pas qu’il vécût si content
Et ne lui laissa pas longtemps cet avantage.
Soubs prétexte d’ayder à un futur ennuys,
On luy fit une femme, on ne put faire pis ;
Le malheureùx dormoit, il ne s’en put deffendre.
Il vit en s’éveillant la cause de ses maux ;
Il la prit, mais hélas ! il devoit s’aller pendre,
Car son premier sommeil fut son dernier repos.

Second sonnet.

Lorsqu’Adam vit cette jeune beauté,
Faitte pour luy d’une main immortelle,
S’il l’ayma fort, Ève de son costé,
Dont bien nous prend, ne fit pas la cruelle.
Mon cher lecteur, alors en vérité,
Je crois qu'elle fut une femme fidelle,
Mais comme quoy ne l'auroit-elle esté,
Elle n'avoit qu'un seul homme avec elle !
Or en cela nous nous trompons tous deux,
Car bien qu’Adam fût jeune et vigoureux,
Bien fait de corps et d’esprit agréable,
Elle aymat mieux, pour s’en faire conter,
Prester l'oreille aux fleurettes du diable,
Que d’estre femme et ne pas caqueter.

Si le curé Gauteron n’est pas très galant à l’égard des femmes, avouons qu’il ne manquait pas d’esprit.

Source : Le Midi du 9 avril 1886 (BnF-Gallica)

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