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Mémoire sur les moyens d'amélioration de la race bovine du Charollais par le marquis Étienne de Drée (1823)

Mémoire du Marquis de Drée Boeuf charolais


[Source : Manuscrit des Archives du château de Drée.]

Mémoire sur les moyens d'amélioration de la race bovine du Charollais, adressé à M. le Comte du Bourblanc, Préfet du département de Saône et Loire, en octobre 1822, par le marquis de Drée, membre du Conseil général et de plusieurs sociétés savantes.

À Mâcon, de l'imprimerie de Dejussieu fils, quai du Nord. 1823.

Situation de cette race.

La race bovine du Charollais est une de celles qui réunissent le plus de qualités ; il est même probable qu'elle doit être placée au premier rang. Une disposition et une promptitude à s'engraisser distinguent éminemment cette race, et la qualité de la chair est telle que les bestiaux de la race pure ont toujours, sur les grands marchés, ou la préférence ou un prix supérieur. Ainsi, cette race est également avantageuse au consommateur et au propriétaire ; et cela est si bien reconnu que des départemens voisins on vient, chaque année, acheter beaucoup de jeunes taureaux dans le Charollais.

Depuis nombre d'années, quelques propriétaires ont cherché à croiser cette race avec celle indigène à la Suisse, dans la vue surtout de donner une taille plus élevée à la race charollaise, qui, sous ce rapport, est inférieure à certaines races de France ; mais il a été reconnu que les résultats de ce croisement n'ont pas été heureux : ces métis, en général, ont perdu les qualités d'une des races, sans gagner beaucoup des qualités de l'autre.

Il ne paraît pas qu'il ait jamais été fait de tentatives suivies et soignées dans le but d'arrêter la dégradation de l'espèce bovine pure du Charollais, et d'élever au plus haut degré les qualités propres à cette race. Je ne regarde point comme tentative de ce genre le soin particulier qu'ont pris quelques propriétaires aisés, habitant de bons cantons, pour réunir chez eux les plus beaux bœufs ou belles vaches du pays. Ce choix était plutôt pour eux une affaire de goût et de jouissance qu'une combinaison pour conserver la race pure et l'améliorer.

D'un autre côté, rien n'annonce que les administrations aient pris des mesures pour encourager les cultivateurs à cette amélioration. Ainsi, nous n'avons ni bienfaits à citer, ni exemples qui puissent nous guider à cet égard.

Mais, s'il y a défaut de cause d'amélioration pour notre race bovine, il n'en est pas ainsi pour les causes de dégradation. Elles sont nombreuses : les unes proviennent de l'indifférence que la généralité des cultivateurs et même des propriétaires a mise de tout temps pour le choix des taureaux et pour la conservation de la race pure. Chacun prenait pour étalon le taureau qu'il possédait, n'importe son âge et ses formes, et il souffrait tous les mélanges de races, ainsi que beaucoup d'autres abus que je ne détaillerai pas, parce qu'en signalant l'insouciance comme principe, on peut en dérouler les fâcheuses conséquences. (*) Aussi la race s'est-elle dégradée et appauvrie au point qu'il y a peu d'années, on n'aurait trouvé dans le pays qu'un très petit nombre de bestiaux de la vraie race indigène. Aujourd'hui qu'on commence à apprécier les qualités inhérentes à cette race, l'insouciance n'est plus aussi forte, l'émulation a même gagné les propriétaires aisés ; ils s'attachent à la beauté des formes, à la race pure, et sont très disposés à seconder l'administration dans les vues qu'elle pourrait avoir pour l'amélioration.

(*) M Bernard pense que l'introduction des prairies artificielles, et la transmutation de beaucoup des meilleurs prés en prés d'engrais (d'embouche), ont contribué à perpétuer la dégradation des races bovines. Les vaches et la jeunesse ne vivant plus que sur de mauvais pâturages, son opinion est très juste en général ; elle est peut-être moins applicable à notre Charollais, où la qualité de l'herbe est généralement bonne.

Mais une des causes principales de la dégradation de l'espèce, celle qu'il importe le plus de faire cesser, c'est la funeste habitude de faire la monte avec des taureaux de moins de quinze mois. Cette coutume est si générale, que, à part chez quelques propriétaires éclairés, on aurait de la peine à trouver dans le pays un taureau de plus de dix-huit mois. Il est vrai de dire que cette coutume ne tient point au hasard : un motif l'a dès longtemps fait naître et la maintient encore. Ce motif le voici : il a été reconnu et il est constant que, lorsqu'un taureau est hongre plus tard qu'à dix-huit mois, il n'est plus susceptible d'atteindre dans toutes ses parties la bonne conformation qui convient au bœuf ; il n'a plus la même disposition à s'engraisser ; enfin il n'a plus la chair aussi délicate, ce qui le met, à tout âge à un prix relativement moins fort. Il n'est donc pas étonnant que, dans les temps où le cultivateur pensait plus au présent qu'à la beauté d'une génération future, qui ne lui présentait pas un bénéfice avéré, cette mauvaise habitude ait prévalu ; mais aujourd'hui il conviendrait de ne laisser subsister cette habitude que pour la généralité des extraits ordinaires, non destinés à la monte, et de chercher à la rompre pour ceux des taureaux de belles formes et de race, qui doivent servir d'étalons. J'ajouterai qu'il est encore une autre raison qui a toujours déterminé en Charollais la castration précoce des taureaux, c'est la coutume de laisser dans les pâturages les bestiaux de tout âge et sexe, souvent en mélange, tout le temps que la saison rigoureuse ne s'y opposa pas. On conçoit que, dans ce cas, il est impossible de conserver, sans de graves accidens, des taureaux jusqu'à l'âge où ils réunissent la grande force et l'indomptabilité ; mais, comme cette coutume (que peut-être chacun ne regardera pas comme profitables à l'engrais des terres) est d'un immense avantage pour donner aux bestiaux bovins la beauté et tout le développement de leurs qualités, il est utile pour opérer sagement, de chercher à faire coïncider les plans d'amélioration avec cette coutume, plutôt que de vouloir la détruire.

Telle est en substance la position des choses, telles sont les causes diverses de l'abâtardissement et du dépérissement de la race bovine du Charollais. En les signalant, j'ai cherché à faire connaître les coutumes du pays dans leur valeur par rapport à l'amélioration que nous avons en vue, à en faire ressortir les vices et les avantages ; j'ai aussi annoncé la tendance manifeste de beaucoup de propriétaires instruits vers cette amélioration ; enfin, j'ai cherché à tout indiquer, afin de faire sentir à l'administration la nécessité d'améliorer cette importante source de produits, d'où dépend, je puis l'assurer, la prospérité de l'arrondissement de Charolles, et de la convaincre que cette amélioration ne peut avoir lieu, si elle ne veut y concourir. On sait qu'il est des circonstances où les administrations possèdent seules les moyens de donner à la masse une impulsion et une direction vers tel but avantageux, but que, sans cette impulsion, les efforts des particuliers ne pourraient atteindre. Or, si l'on observe avec soin les dispositions des habitans du Charollais et leurs habitudes à l'égard de la race bovine, on apercevra que ce pays est positivement dans ces circonstances, puisque, quelque favorables que puissent être les divers systèmes qu'adopteraient des propriétaires éclairés, ces systèmes ne se propageraient dans aucun cas qu'à la longue et à la vue de succès prononcés et renouvelés ; ils seraient donc insuffisans pour opérer l'amélioration. Des mesures générales qui atteindraient en même temps l'ensemble des habitans de toute la contrée sont les seules qui puissent produire, d'une manière rapide, et, par cela seul, certaine, les changemens dans les habitudes, dont on doit attendre l'amélioration de la race bovine.

Moyens d'amélioration.

Le conseil général du département s'est déjà pénétré de cette pensée, puisqu'il a accordé pour cet objet quelques fonds d'encouragement ; mais avant de parler de ce que peut et doit faire l'administration, il convient de développer les divers genres d'amélioration à notre pouvoir, ainsi que leurs avantages et les difficultés que présentent leurs modes d'exécution.

Le premier moyen d'amélioration qui se présente dans l'ordre des idées actuelles, est le croisement de la race ; mais, outre que le succès doit en paraître douteux, puisque le croisement avec la race suisse n'a pas réussi, il faut encore convenir que ce ne serait qu'au terme de nombre d'années que l'on pourrait être assuré du succès ou de l'insuccès. Comme, d'après cela, pour agir avec prudence, il conviendrait de ne tenter qu'en petit les essais de ce croisement, il en résulterait que, lors même que par ce mode on croirait avec quelque probabilité arriver à l'amélioration désirée, on ne pourrait cependant l'envisager qu'après de longues années. Or, un semblable retard n'ôte-t-il pas tout espoir d'améliorer, et notre but ne peut-il pas être mieux rempli ?

Le second moyen, dans la supposition qu'on recherche l'amélioration de la race sur elle-même, consisterait à acheter les plus beaux taureaux, à les placer chez les propriétaires aisés qui se soumettraient à avoir un certain nombre des plus belles vaches, à conserver leurs taureaux jusqu'à l'âge de six ans ou plus, et à les livrer à la monte des vaches de race pure, moyennant une rétribution fixée et non onéreuse. Sans doute, ce moyen atteindrait notre but : mais on ne peut se dissimuler qu'il serait dispendieux, soit par le nombre des établissemens de ce genre que l'administration devrait former, soit par les avantages qu'il faudrait donner comme dédommagement aux conservateurs des étalons : car il est certain que nos habitans ne se soumettraient qu'avec répugnance à conserver, contre toutes les coutumes du pays, des taureaux aussi âgés.

Le troisième moyen serait de décerner des encouragemens en forme de primes et au concours, pour les plus beaux extraits mâles et femelles de race pure ; de combiner la quantité et la valeur de ces primes, de manière qu'elles deviennent un appât pour la généralité des cultivateurs, et d'en rendre l'application assez favorable, pour que, sans contrarier ce qui, dans les habitudes du pays, peut être avantageux, cette mesure conduise à la réforme de ce qui est abusif. Ce moyen, sans êre cher pour une administration, produirait une impulsion générale, et aurait des résultats prochains et très étendus.

Tels sont les moyens d'amélioration. Maintenant, pour faire entr'eux le choix le plus convenable, demandons-nous ce qu'est actuellement la race pure charollaise, et ce qu'elle laisse à désirer. Le bœuf charollais a les membres forts et très bien faits, la tête bien proportionnée, la cornure forte et belle, et la capacité et les formes du corps très appropriées à sa dernière destination, l'engrais ; sa marche n'est pas vive, à cause de sa pesanteur, mais il est robuste et d'un naturel fort doux ; en un mot, je crois que, tout considéré, on s'accordera à dire que la conformation d'un bœuf de choix de cette race est en parfait rapport avec les propriétés que nous pouvons désirer pour la perfection de cet animal utile. On ne peut lui trouver d'infériorité que dans les dimensions qui pourraient être plus grandes : c'est donc principalement sur ce point qu'on doit ambitionner le perfectionnement du bœuf charollais. Ainsi, cet animal pris intrinsèquement n'a d'autre besoin que d'acquérir une taille plus élevée, bien entendu que l'accroissement proportionnel de toutes les parties du corps doit s'ensuivre, afin que leur ensemble reste dans le même accord que présente le bœuf actuel. Considérant ensuite les besoins de la race en général, je vois la nécessité de la rétablir dans toute sa pureté et de la propager le plus promptement possible. Ce double objet ne présentera pas de grandes difficultés, si les moyens en sont combinés avec les convenances et les coutumes du pays. Savoir intéresser les cultivateurs à n'élever que des animaux de race pure, et les amener à se défaire de celles de leurs habitudes routinières qui ont conduit à la dégradation de la race, seraient des bases infaillibles. C'est dans ces divers rapports que je vais envisager nos moyens d'amélioration.

Si tout est ainsi, il est évident que notre race bovine ne laisse rien à désirer pour la conformation du corps et les qualités. Dans cet état, le croisement, premier moyen, lui serait-il nécessaire ou profitable ? Je ne le pense pas : on ne croise une race que dans le but de lui faire acquérir ou des formes meilleures ou des qualités particulières. Or, nous ne sommes pas dans ce cas, il n'y a donc pas nécessité. Déjà l'expérience a prouvé le peu de succès du croisement avec la race suisse, et les observations sur les propriétés de notre race font présumer que peut-être elle ne gagnerait pas plus par son croisement avec d'autres races. Cependant on ne peut l'assurer, aucun essai de ce genre n'ayant été tenté avec les races normande, écossaise ou autres : aussi, sans rien prononcer à cet égard je dirai seulement qu'un croisement ne serait admissible qu'autant que la race avec laquelle on croiserait la nôtre aurait en partage une aussi bonne et belle conformation, des qualités aussi essentielles, et en outre une plus haute taille. Cette race existe-t-elle ? je ne prononce rien.

Ce moyen a d'ailleurs, comme je l'ai dit, l'inconvénient d'occasionner de grands frais et de laisser incertain, dans tous les cas, le succès pendant nombre d'années.

Mais est-il sûr, dira-t-on, qu'on puisse obtenir des dimensions plus fortes sans le croisement ? Je répondrai affirmativement, en me fondant sur deux raisons : la première est qu'il n'y a pas de doute que les funestes coutumes de nos cultivateurs, telles que le mauvais choix des taureaux, la monte prématurée, le sevrage trop prompt, et le mélange des races, ayant amené successivement le dépérissement de la race, on doit la croire susceptible de réacquérir ce qu'elle a perdu ; la seconde est qu'il est également hors de doute qu'en alliant toujours ce qu'il y a de mieux en forme et en hauteur dans les deux sexes, on obtiendra successivement la plus grande perfection dans tous les genres. C'est d'après ces considérations que nous devons penser qu'une administration éclairée n'accueillera pas, pour le moment, ce moyen d'amélioration par le croisement, qui, outre ces inconvéniens, n'est pas d'une nécessité reconnue.

Maintenant, si l'on s'arrête à rechercher l'amélioration de la race sur elle-même, le second et le troisième moyen que je viens d'énoncer s'offrent au choix de l'administration.

Le second moyen, qui s'opère par rétablissement de taureaux étalons, chez des particuliers, remplirait efficacement l'objet qu'on se propose, si le nombre des établissemens répondait aux besoins de l'arrondissement, et si quelques propriétaires consentaient à se soumettre aux conditions obligées par ce mode, puisque tout annonce que, par la conservation, jusqu'à un certain âge, d'un nombre de taureaux du plus beau choix, on s'assurerait en peu de temps des générations magnifiques. Mais il est malheureux que ce moyen d'améliorer ne puisse s'opérer sans des dépenses assez, considérables, et cette dépense est un motif assez puissant dans ce moment, pour que je n'ose insister sur la préférence à lui accorder.

Le troisième, qui est fondé sur la distribution d'encouragement en forme de primes, au concours, est celui qui appelle le plus grand nombre d'habitans à participer à l'amélioration, par l'appât que ces primes présentent à tous, et par l'émulation qui doit s'ensuivre ; c'est aussi celui qui, sans secousse, sans force, amènera naturellement chaque cultivateur à modifier d'abord et à triompher ensuite des coutumes abusives dont la dégradation de la race a été le résultat ; c'est ce moyen, en un mot, qui peut opérer en même temps sur tout le territoire, les trois genres d'amélioration, l'élévation de la taille du bœuf, la conservation et la propagation de la race pure. Ce moyen est on ne peut pas moins dispendieux, surtout pour une administration. Mais, je dois le dire et le répéter, il est nécessaire que le nombre des primes et leur valeur soient, surtout dans les premières années, assez marquans pour que l'espérance et le désir d'en obtenir s'étendent sur un grand nombre d'individus. Il faut que les statuts du concours n'exigent que ce que l'on peut et doit raisonnablement demander pour arriver à son but ; il faut qu'ils coïncident avec tous les intérêts. Des dispositions qui tendraient à contrarier rapidement et sans besoins précis certaines habitudes, nuiraient incontestablement au succès de la mesure. Mais, comme en traçant les conditions du concours, il est facile de parer aux inconvéniens, ce mode de primes me paraît préférable dans les circonstances.

En accordant la préférence à ce dernier moyen, comme le moins cher et comme celui qui atteint sur le champ la généralité des cultivateurs, je ne prétends point rejeter les autres ; le grand bienfait que produirait cette amélioration doit sans cesse appeler toute la sollicitude de l'administration : espérons donc qu'aussitôt qu'elle en aura la possibilité, elle fera concourir à ce bienfait les deux derniers moyens, et, à l'égard du croisement, contentons-nous de désirer que cette administration, tout en repoussant ce mode, n'en saisisse pas moins les occasions de stimuler et d'encourager la bonne volonté des gros propriétaires qui voudraient se rendre utiles à leurs concitoyens en faisant des essais de ce genre.

Le conseil général, en 1820, a senti de quelle importance serait cette amélioration de la race bovine pour notre département, et spécialement pour l'arrondissement de Charolles, qui est dépourvu de toute branche d'industrie ; mais, ayant déjà attribué des fonds pour l'amélioration des races de chevaux, il a dû se restreindre, pour un premier essai, à accorder une petite somme pour décerner les primes d'encouragement aux propriétaires qui présenteraient les plus beaux extraits mâles de race bovine, et, dans la somme qu'il a allouée à cet effet, celle de 300 fr., divisible en six primes égales, a été affectée à l'arrondissement de Charolles.

Le premier concours pour la distribution des primes de cet arrondissement s'est ouvert à Charolles, le 22 septembre 1822. Il s'y est présenté un assez grand nombre de beaux taureaux. Cependant les primes n'ont pas été décernées, soit parce que beaucoup de ces extraits n'avaient que dix-huit mois et non deux ans, âge requis par les dispositions du programme du concours, soit parce que les propriétaires des taureaux de plus de deux ans n'envisageant qu'une modique somme de 50 f., montant de la prime, se sont refusés à consentir à la condition de les garder encore étalons pendant un an, condition qui leur fût devenue très onéreuse, l'année de garde ne s'appliquant qu'à des taureaux ayant déjà deux ans et plus.

Ainsi, cette mesure bienfaisante n'a pas eu de succès pour le moment, non par le défaut de présentation d'extraits convenables, mais seulement parce que les conditions de l'arrêté de M. le préfet, du 25 juin 1822, qui est applicable aux divers arrondissemens en général, n'ont pas été particulièrement combinées sur les convenances de l'arrondissement de Charolles ; car, si les conditions imposées n'eussent pas été trop contraires aux intérêts des propriétaires, le concours eût eu son plein effet. Il est important de spécifier la cause véritable de ce défaut de succès, afin d'éviter de fausses conclusions, et afin de ne pas laisser sans effet une mesure d'un intérêt aussi majeur pour notre arrondissement.

Primes à accorder et conditions du concours.

Cette dernière pensée est celle qui me guide en appelant l'attention de M. le préfet sur cette cause bien connue de l'insuccès, et je le prie de prendre en considération les observations suivantes sur les conditions de l'arrêté du 25 juin 1822, qu'il convient de modifier par rapport à l'arrondissement de Charolles.

La fixation de l'âge de réception et celle du temps à conserver l'étalon gagnant une prime devant toujours être conditions du concours, il est nécessaire que l'époque de ce concours soit la même ou au moins dans le même mois chaque année : on conçoit que, sans cette fixité du concours, tous les intérêts ne seraient pas satisfaits. L'époque du mois de septembre, déterminée par l'arrêté, est, je crois, la meilleure à tous égards. Dans le printemps, les bestiaux sortant des étables se ressentent plus ou moins de la clôture et de la nourriture d'hiver ; celui qui aurait été très soigné, engraissé, aurait souvent au concours une faveur qu'il ne mériterait pas. En septembre, comme ils sortent des prés, ils n'ont rien d'artificiel, ils ont tout leur développement, et ils paraîtront plus au naturel devant le jury.

Afin de déterminer avec justesse l'âge le plus convenable pour la réception des taureaux au concours, dans un pays et pour une race où il convient de les hongrer le plus tôt possible, il faut commencer à poser en principe que la reproduction ne peut être favorable qu'autant que l'animal a acquis l'âge où ses facultés sont dans leur force. Or, si l'un consulte l'expérience et la marche de la nature pour les taureaux et les génisses, on s'accordera à placer cet âge plutôt au-dessus qu'au-dessous de deux ans ; mais, comme ici on doit faire la part à tous les intérêts et délivrer de tout assujettissement les taureaux conservés pour le concours qui n'auront pas gagné la prime, on doit, je pense, surtout dans les premiers momens, s'en tenir au minimum de l'âge pour la réception de taureaux aux concours. De ces diverses considérations nous devons donc conclure qu'il faudrait fixer à dix-huit mois et au-dessus l'âge de réception au concours du mois de septembre ; alors on pourrait exiger sans inconvénient que les taureaux gagnant une prime seraient conservés comme étalons encore un an, et employés à la monte publique pour une rétribution et avec les ménagemens convenables ; alors on satisferait, je crois, à tous les intérêts. D'un côté, les propriétaires ne seraient pas lésés en gardant seulement leurs beaux taureaux jusqu'à environ dix-huit mois, âge du concours ; de plus ils seraient assurés que ceux qui gagneraient des primes pourraient être hongrés de deux ans et demi à trois ans, terme où le taureau n'offre pas encore l'inconvénient de l'indomptabilité, et ils seraient également certains qu'une prime les aurait indemnisés d'avance de la perte de valeur qu'éprouverait le taureau conservé, perte peu considérable, la castration n'étant que peu retardée. D'un autre côté, les vues d'amélioration seraient remplies, 1° parce qu'en adoptant ces termes, il est clair qu'à la principale monte, le printemps suivant, les étalons auraient acquis deux ans et plus, âge de la force ; 2° puisque, par ce mode d'encouragement, il est évident que la réalité ou les primes étant six, je suppose, l'espérance et l'ambition de gagner ou de se signaler doivent amener un concours de quatre-vingts à cent taureaux ; et, comme ces taureaux auraient été conservés jusqu'à plus de dix-huit mois, il en résulterait que la monte ne serait plus effectuée par des taureaux en enfance, mais par des taureaux de quinze à dix-huit mois ; et ce résultat, moins significatif peut-être, mais plus général, ne serait pas celui qui contribuerait le moins à l'amélioration de l'espèce. La clause de l'arrêté qui exige qu'on soit propriétaire depuis un an du taureau présenté, exclurait, sans objet, du concours beaucoup de beaux taureaux. Combien en est-il, en ce cas, qui ne pourraient concourir ni pour l'acquéreur ni pour le vendeur ! Cette condition est nuisible et sans aucune utilité ; elle devrait être réformée en entier.

J'arrive au point important, le nombre et la valeur des primes : c'est le levier qui doit tout opérer. Il suffit de consulter les intérêts de nos propriétaires, pour juger combien est insuffisante une prime de 50 f., ainsi qu'elle était fixée au dernier concours, pour les déterminer à conserver leurs taureaux jusqu'à l'âge requis ; et rien n'a mieux prouvé cette insuffisance que le résultat de ce concours. La fixation du nombre des primes à six était cependant juste et bonne ; mais la somme de 300 f. était trop médiocre pour les former : aussi le but a été manqué. Pour faire mieux, on doit se dire que, dans le système des encouragemens par primes, un peu de réalité doit soulever des masses d'espérances ; mais on doit aussi se dire que, pour que cet effet ait lieu, il faut que cette réalité soit assez prononcée, c'est-à-dire, les primes assez fortes et assez nombreuses pour devenir un appât qui stimule la généralité, et pour assurer (dans notre arrondissement) une indemnité immédiate à celui qui se soumet aux conditions voulues ; il faut qu'elles soient assez désirables, surtout dans le début de la mesure, pour produire cet élan et cette impulsion générale, qui, dans le système des primes, doit conduire à l'amélioration. C'est en raisonnant ainsi que je demande pour le moment six primes pour les taureaux dans l'arrondissement : une de 150 f., une de 100 f., deux de 75 f. et deux de 50 f., ce qui fait en tout 500 f. On objectera peut-être que 150 f. sont la valeur d'un taureau de choix ; oui, sans doute ; mais cette prime n'est pas trop forte pour le début : il faut se persuader qu'on ne peut réussir qu'autant qu'on partira des intérêts et des convenances des habitans du Charollais pour établir les conditions du concours. M. le sous-préfet pense, ainsi que plusieurs de nos agronomes, que les génisses devraient aussi avoir leur part aux primes, se fondant sur ce que, dans l'espèce bovine, comme dans beaucoup d'autres espèces d'animaux, les extraits participent, en général, plus des mères que des pères. Ce fait, avéré pour beaucoup de personnes, est cependant contredit par quelques autres ; mais, quelle que soit l'étendue de l'influence des mères, cette influence n'existe pas moins, et ce serait sans doute un grand tort que de ne pas s'attacher à ce moyen puissant de conserver la pureté de la race. Je regarde même cette disposition comme d'autant plus essentielle que, dans le Charollais, les vaches se ressentent encore plus de la dégradation de la race que les bœufs, et qu'il n'y en a qu'un très petit nombre qui réunisse les caractères de la vraie race. Il est donc urgent d'arrêter cette dégradation pour les vaches ; c'est pourquoi, en supposant les fonds nécessaires pour subvenir à tout, je demanderais six primes pour les génisses ; une de 80 fr., une de 60 fr. et quatre de 40 fr., ce qui fait en tout 300 fr. Ces sommes me paraissent assez fortes, parce que les propriétaires de ces génisses ne sont soumis à aucune condition onéreuse ; que, par conséquent, la prime ne doit pas être une indemnité, mais seulement un encouragement. L'âge des génisses, pour être reçues au concours, devrait être de deux ans jusqu'à trois. Par là, les propriétaires, ambitionnant la prime, prendraient tous les soins convenables pour faire amender leurs génisses jusqu'à l'âge du concours, et ces soins ne seraient pas perdus pour l'amélioration. Une des conditions à laquelle on devrait astreindre les propriétaires de la génisse gagnant prime, serait de ne pas la vendre pour passer hors de l'arrondissement, pendant 15 mois, avec transmission de cette condition à son acquéreur, en cas de vente.

Tout taureau qui aura gagné une prime doit pouvoir concourir de nouveau l'année d'après, en par le propriétaire renouvelant sa soumission aux conditions requises ; c'est un moyen d'avoir quelques étalons plus âgés. Par la même raison, le taureau qui n'aurait pas gagné de prime doit pouvoir concourir l'année d'après. Les génisses qui ont concouru une fois ne doivent pas reparaître au concours. Les motifs de ces diverses conditions sont assez palpables pour que je n'entre point dans leur développement.

Enfin, l'objet principal pour améliorer la race charollaise, dès lors qu'on veut rechercher cette amélioration sur la race elle-même, c'est de stipuler, comme condition expresse du concours, que les primes ne seront accordées qu'à des extraits présentant tous les caractères de la race vraiment pure.

Je pense que les conditions du programme du concours de l'arrondissement de Charolles, modifiées d'après les bases ci-dessus, concilieront tous les intérêts, et j'engage M. le préfet à faire connaître, le plus tôt possible, à ses administrés, le nouveau programme qu'il donnera, afin d'assurer la conservation des taureaux de l'âge requis pour le nouveau concours.

Ne conviendrait-il pas aussi d'éclairer les administrés sur l'abus de se servir, pour la monte, de taureaux trop jeunes, et de leur démontrer qu'il est de leur intérêt d'avoir recours, même en payant, à un taureau bien fait, de race, et suffisamment âgé ; qu'il est aussi de la plus haute importance de ne pas abréger le terme naturel de l'allaitement des extraits mâles ou femelles qui présentent de belles formes, et qu'on veut conserver ; et que, s'ils ne s'attachent pas également à la beauté et à la race, pour leurs vaches, ils n'auront que du bétail sans valeur ? Toutes ces données peuvent être présentées comme certaines, puisque déjà les bestiaux de race pure et de belle forme sont les seuls qui conservent du prix.

L'administrateur éclairé que j'ai cité, M. le sous-préfet, porte ses vues bienfaisantes jusqu'à vouloir établir des primes particulières pour l'espèce bovine des cantons de l'arrondissement placés dans les montagnes, espèce qui, attendu la différence des pâturages, est beaucoup moins forte que la race charollaise, et ne peut, par conséquent, soutenir la concurrence avec cette dernière : sans doute il y aurait une sorte de justice. Mais, pour bien connaître les avantages et les désavantages de cette mesure, par rapport au but principal qu'on se propose, il est utile auparavant d'apprécier cette espèce de bétail, et de remonter à son origine. Peut-être n'est-elle que la race charollaise, amoindrie par la différence de nourriture ; et, dans ce cas, l'amélioration produite sur la bonne souche de la race se propagerait naturellement sur l'espèce des montagnes ; dans le cas, au contraire, où cette dernière espèce aurait une origine différente et des qualités particulières et plus appropriées aux besoins de ces pays de montagnes, elle devrait alors prendra part au bienfait. Mais, avant tout, je crois utile de rassembler les connaissances qui peuvent nous éclairer sur cette espèce ; et, pour ce moment, ce serait, dans tous les cas, nuire à l'objet principal que de diviser sur autant de points la faible somme accordée pour encouragement.

J'ai porté à 800 fr. la somme annuelle nécessaire aux primes pour les taureaux et les génisses, dans notre arrondissement, et je crois l'avoir mise au minimum. Le défaut de distribution de primes, en 1821 et 1822, donnant 900 fr. à distribuer en 1823, comme M. le préfet ma fait l'honneur de me le marquer, il y a suffisance et même excédant de fonds pour le concours de 1823. Mais il faudrait ensuite pourvoir à cette somme annuelle de 800 f., pour l'avenir ; et, à cet effet, je crois pouvoir exprimer le vœu de nos compatriotes, en priant M. le préfet de porter ses regards sur les grands résultats que l'amélioration et l'extension de la race bovine donneraient à la richesse agricole du Charollais, persuadé qu'alors ce magistrat serait convaincu de la nécessité de provoquer, dans l'arrondissement de Charolles, d'une manière décisive, par des encouragemens suffïsans, un élan général vers cette amélioration, qui, d'après les probabilités, s'étendra ensuite d'elle-même, les propriétaires commençant à en sentir le prix. Et je ne doute pas que le conseil général, dont la sollicitude s'étend sur tout ce qui peut faire prospérer les différentes branches de produits du département, ne vote, à la voix d'un administrateur dont il a reconnu les lumières et les sentimens de bienfaisance, une somme convenable pour les primes d'encouragement destinées à notre arrondissement. Sans doute aussi ce conseil reconnaîtra que les primes, qui ne sont qu'un encouragement dans plusieurs autres arrondissemens, sont une nécessité pour donner à la principale branche des produits de celui de Charolles l'étendue qu'elle doit avoir.

Bien convaincu de l'effet favorable qu'aurait l'établissement de taureaux étalons chez des particuliers, le second des moyens que j'ai cités, j'eusse bien désiré pouvoir solliciter avec avantage ces établissemens auprès de l'administration ; mais je sais que le conseil général, pénétré de l'étendue des charges que supporte le département, dans ce moment, s'efforce toujours de modérer la partie de ces charges qui est à sa disposition ; et c'est parce que je connais toute sa pensée à cet égard, que je dois me borner aujourd'hui à faire des vœux pour que l'administration se trouve bientôt à même de réaliser cet autre moyen d'amélioration, qui, déjà préparé par celui des primes, pourrait, sans être entrepris sur une grande échelle, porter à toute sa valeur, en peu d'années, une branche de produits si nécessaire à l'arrondissement de Charolles.

Le Conseil général, dans sa session de juin 1823, a adopté, sur la demande de M. le Préfet, les conclusions de ce mémoire, pour l'arrondissement de Charolles, et il a accordé, à chaque autre arrondissement, une somme proportionnelle pour le même encouragement.

Complément : Biographie du marquis Étienne de Drée (1760-1848).

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