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Semur-en-Brionnais

Source : Monographie des communes du Charollais et du Brionnais, volume II, par le Frère Maxime Dubois (1904).

1298 habitants. Poste de la localité ; gare de Marcigny, à 4 kilomètres, 31 kilomètres de Charolles. Superficie : 1.555 hectares, dont 677 en bois, 411 en céréales et cultures, 356 en prairies, 111 en vignes. Vins de belle couleur se conservant deux ans. Commerce de l'embouche. Carrières de pierres de taille. Tissage de la soie. Sol accidenté. Église romane du XIIe siècle, monument historique. Château de Saint-Martin-de-la-Vallée. Tour Saint-Hugues.

Semur-en-Brionnais est une petite ville agréablement située sur la plateforme d'une colline qui, en face de Marcigny, domine les plaines de la Loire. Sa position pittoresque, qui l'a fait comparer à un nid d'aigle, les restes d'un passé, qui, par moments, ne fut pas sans gloire, les travaux intéressants qui depuis deux siècles ont été composés sur ses origines et les vicissitudes de son histoire, lui méritent et permettent de lui consacrer une notice plus étendue. Nous la puiserons surtout dans les nombreux articles ou brochures que M. l'abbé Cucherat, ancien aumônier de l'hôpital de Paray-le-Monial, a publiés sur sa ville natale. Nous y ajouterons les détails que renferment les documents manuscrits, rédigés au dix-huitième siècle par les notaires du prieuré de Marcigny, et employés déjà par Courtépée dans sa Description du Duché de Bourgogne pour ses notices sur les paroisses du Brionnais. (Nous les grouperons autour de chacun des monuments qu'on rencontre à Semur et dont la date correspond assez bien aux principales périodes de son histoire).

La tour Saint-Hugues et la baronnie de Semur : Le plus ancien reste du passé semurois est une grosse tour carrée dont les murs en ruines surplombent les escarpements qui entourent la ville au sud et à l'ouest. C'est le dernier débris du château fort qui sans doute la vit naître à son ombre et qui longtemps la garantit. Elle semble dater du dixième siècle ; les ouvertures et la disposition intérieure marquent des remaniements du quinzième siècle. Si l'on s'en rapporte à la tradition, elle aurait été brûlée et démantelée pendant les incursions anglaises de la Guerre de Cent Ans. Mais c'est seulement après la Révolution que des tentatives faites pour achever de la démolir ont éventré ses flancs sur trois de ses faces. Dans son état actuel de délabrement, faute de documents authentiques ou de fouilles sérieuses qui permettraient de découvrir les bases des constructions rasées, il est difficile de déterminer avec exactitude ce que comprenait, lorsqu'il était debout, l'ancien château de Semur, ni à quelle époque il fut bâti. On peut conjecturer qu'après la période d'invasions étrangères et d'anarchie intérieure qui marqua dans l'Europe occidentale le neuvième et le dixième siècle, lorsque la féodalité prit son organisation définitive, le Brionnais se trouva, comme le reste de la France, possédé par plusieurs petits seigneurs, rattachés à de plus puissants par les liens de la vassalité et chargés à leur tour de rendre justice et de porter secours aux serfs et aux hommes libres qui s'étaient mis sons leur garde. En ces temps de guerres incessantes, pour se défendre contre les incursions des voisins, il fallait des forteresses. La position de Semur, aux confins de la Bourgogne, du Mâconnais, du Forez et de l'Auvergne, convenait parfaitement pour asseoir un « castrum » féodal, et rien n'empêche de croire qu'il y existait de très ancienne date. Mais sur ce point aucune pièce probante ne nous est parvenue. Il est plus aisé de se rendre compte des limites qu'embrassait l'enceinte de ce château fort et de la ville primitive de Semur. Il en reste assez de traces dans la disposition actuelle des maisons et des ruelles les plus anciennes. Du côté du soir, on trouve quelques débris des murailles de la ville, dans les jardins, de la maison Terrion et vers le pré Coyer. Au midi, toute la ligne des constructions qui dominent d'assez haut la vallée, a été fondée sur ces murailles et on a conservé intacte la poterne qui de ce côté mettait en communication la ville avec le chemin de ronde. Au matin, l'enceinte s'étendait jusqu'en face du sentier qui montait de la vallée, mais des maisons modernes ont interrompu la continuation de ce sentier autour des murailles. Du côté du nord, leur circuit est marqué par les maisons Bouthier et de Précy, bâties également sur le bord de l'ancienne enceinte. Les constructions du séminaire ont fait disparaître de ce côté la porte d'entrée de la ville, située en face de la poterne. Tout cet espace ainsi délimité, n'était pas fort étendu et, ne comprenant que le sommet, de la colline, se pouvait guère renfermer que le château, l'église et le logement des gens d'armes, des officiers de justice et des clercs. Quand la ville se peupla, les artisans durent s'établir en dehors de l'enceinte et dans le cours des siècles des maisons se bâtirent peu à peu tout autour des murailles. Le groupe principal se forma du côté du nord, sur les pentes qui allaient rejoindre la route de Marcigny à Semur, près d'excellentes sources et vers une petite chapelle dédiée à sainte Marie-Madeleine. Les ravages de la guerre de Cent-Ans et de la succession de Bourgogne obligeront sans doute de protéger ces maisons et une seconde enceinte ferma ce quartier qui prit le nom de basse ville. Cette deuxième ligne de murailles avait à l'ouest une sortie appelée la porte au Van et son entrée principale subsiste toujours sous le nom de porte de la Madeleine. L'autre quartier resta ouvert et forma le faubourg de la Perrière, autour de la chapelle de Notre-Dame, près des carrières de pierres à bâtir, aujourd'hui encore exploitées. Si mutilés que soient les restes du « castrum » semurois, ils méritent d'être conservés. Ce sont les dernières traces de l'époque marquante de la ville, la seule où sa renommée franchit les bornes du pays d'alentour et où son nom se mêla pour un moment à l'histoire du monde. Ce n'est pas d'ailleurs que de grands événements se sont jamais passés à Semur. Toute sa célébrité lui vient de l'un de ses enfants, saint Hugues, l'illustre abbé de Cluny. Un peu de la gloire qui l'entoura pendant sa vie et après sa mort, a fini par rejaillir sur son berceau et a attiré l'attention des érudits sur la famille des barons de Semur, dont il était originaire. C'est seulement à partir de la fin du X° siècle qu'on possède quelques documents certains à ce sujet. Ils avaient été recueillis au XVIII° siècle par Verchère de Reffye et Potignon de Montmegin, chargés de mettre en ordre les riches archives du prieuré de Marcigny. Saint Hugues avait fondé ce monastère en 1056, en le dotant d'une partie des terres de son patrimoine. Dans les chartes de dotation, dans les pièces de procédure pour la défense des droits des religieuses, dans les travaux que les Bénédictins ont consacré à l'histoire de la plus célèbre de leurs abbayes et des prieurés de sa dépendance, se trouvent les sources principales de renseignements sur les origines de la famille de saint Hugues et de toute sa descendance. Sans remonter aux ancêtres glorieux, mais peut-être légendaires, dont un patriotisme local l'a parfois gratifié, nous savons que vers l'époque où Hugues Capet fondait la troisième race de nos rois, il y avait à Semur une famille féodale dont les chefs possédaient des terres assez étendues autour de leur château-fort, et qui, tant par leurs richesses que par la situation avantageuse de leurs domaines, avaient contracté des alliances avec les comtes de Chalon, fondateurs de Paray-le-Monial, et les ducs de Bourgogne, issus du sang royal, et désireux sans doute de n'avoir ainsi rien à craindre sur les frontières de leurs États. Dalmace, père de saint Hugues, était marié à Haremburge de Vergy. Il mena la vie batailleuse et pillarde des seigneurs de son temps, tout occupés à maintenir leurs droits et à étendre leur puissance, à cheval et l'épée à la main. Une de ses filles, Alix de Semur, épousa Robert, duc de Bourgogne. Ce mariage n'empêcha pas les guerres entre gendre et beau-père et, d'après la tradition, Dalmace aurait été tué par l'irascible Robert. Une dure pénitence expia ce crime qui fit passer le titre et les biens de la famille à Geoffroy, frère puiné de saint Hugues. Ce dernier renonçant à son droit d'aînesse et frustrant les espérances de son père, avait, avant l'âge de quinze ans, délaissé les expéditions guerrières et s'était mis, au prieuré de St-Marcel-les-Chalon, à l'apprentissage de la vie monastique. Il entra ensuite à Cluny et y resta soixante-dix ans, marquant par ses talents de négociateur, de réformateur et d'organisateur, l'apogée du fameux monastère et de son influence en Europe. En quittant Semur si jeune, il s'en était éloigné sans pensée de retour et désormais Cluny devint le centre de son autorité. Jamais pourtant, il n'oublia le pays où sa pieuse mère avait développé en lui les premiers germes de ses vertus, et par une juste récompense du sacrifice qu'il avait fait, l'héritage paternel qu'il avait méprisé pour se mettre au service de l'Église resta mieux sous la dépendance du saint abbé de Cluny que s'il fût demeuré baron de Semur. A partir du moment où l'éclat de sa renommée en fait un des premiers personnages de son époque, toute l'histoire de Semur gravite autour des deux monastères qu'il habita ou qu'il a fondés, et tout ce que nous eu savons d'intéressant ou de certain durant la fin du XI° siècle et tout le cours du XII°, a trait aux relations des seigneurs de Semur avec Cluny ou Marcigny. Geoffroy, frère de saint Hugues et successeur de Dalmace, finit par se faire moine auprès de lui, pendant que deux de ses sœurs, devenues veuves, prenaient le voile à Marcigny. Raingarde, sa nièce, d'abord mariée en Auvergne avec le seigneur de Montboissier, et mère de Pierre le Vénérable, y remplit l'office de célérière, pendant que son neveu Geoffroy, imitant l'exemple de son père, quittait à son tour le château de Semur et restait moine à Cluny jusqu'à la mort de saint Hugues, où l'abbé Ponce, son successeur, l'envoya à Marcigny exercer les fonctions de prieur du monastère. Mais avant même qu'il eût terminé sa carrière, en 1109, saint Hugues avait pu voir le commencement des querelles qui de longs siècles encore devaient régner entre les barons de Semur et le couvent voisin. C'était alors la belle époque des grandes expéditions féodales à travers l'Europe et en Palestine, mais aussi le temps sombre des guerres incessantes entre les milliers de seigneurs ecclésiastiques ou laïques qui se partageaient la souveraineté du pays. Les difficultés qui, de nos jours encore, ont si souvent l'occasion de se produire entre propriétés contiguës et dont le règlement pacifique est confié aux tribunaux, se résolvaient alors par la force brutale au profit du plus puissant. Les biens ecclésiastiques étaient particulièrement exposés à ces revendications violentes. Constitués d'ordinaire par la générosité des seigneurs laïcs qui, avant de quitter le siècle, d'entreprendre un voyage d'outremer ou de retourner à Dieu, pour l'acquit de leur conscience ou pour la satisfaction de leur piété, cédaient aux gens d'église quelques portions de leur patrimoine, ils fournissaient matière facile d'usurpation aux descendants des donateurs ou à des voisins ambitieux qui convoitaient sur ces terres possédées en usufruit les droits de justice ou quelques redevances féodales. C'est ce qui arriva au début du XII° siècle pour le prieuré de Marcigny. Geoffroy, baron de Semur, petit-neveu de saint Hugues, se déclara contre les franchises du monastère. Il prétendit que tous les habitants de Marcigny étaient ses hommes, relevant de sa juridiction et de son domaine, malgré les donations qui en avaient été faites et souvent renouvelées. Il fit même enlever un des religieux de Cluny, en résidence dans la ville, l'emprisonna en son château de Semur et lui fit payer deux mille sous de rançon. Saint Hugues fut vivement touché d'une exaction si odieuse. Il déféra son neveu au légat du Saint Siège, et partit lui-même pour Semur. Geoffroy n'attendit pas son arrivée. Il alla au-devant de lui et dans une série de réunions tenues en Mâconnais, puis à Sainte-Foy et à Marcigny, il fit la paix avec le monastère et se réconcilia avec son oncle. [Cucherat, Semur-en-Brionnais. Ses barons. Annales de la Société Eduenne.] Pour prévenir le retour de pareils débats, on fixa une première fois les bans de Semur et de Marcigny, c'est-à-dire les limites de la juridiction des barons de Semur et des franchises du prieuré. Cinquante ans plus tard, Semur subit le contre-coup des luttes du comte de Chalon, Guillaume, contre l'abbaye de Cluny et les monastères de sa dépendance. L'excommunication lancée par le pape pour protéger les religieuses de Marcigny n'arrêta pas longtemps le cours de ces déprédations, et le pays ne rentra dans le calme qu'après l'expédition du roi de France Louis VII, dans le comté de Chalon et la prise de Mont-St-Vincent, en 1156. Le XII° siècle s'acheva pour Semur dans le calme des événements sans importance. C'est vers le commencement du règne de saint Louis qu'une sentance arbitrale, prononcée par l'archevêque de Lyon, assisté de l'évêque de Chalon et du sire de Beaujeu, entre le baron de Semur et le comte de Forez, nous fournit des renseignements intéressants sur les limites du Brionnais et de la juridiction de ses seigneurs au sud et à l'ouest Saint-Julien-de Cray leur fit retour et on leur conserva le territoire de Saint-Forgeux l'Espinasse et de Mably. La grand'route qui longait la rive gauche de la Loire leur appartint depuis Vivans jusqu'à Cée et au-delà de Digoin. Des alliances avec les principales familles des environs avaient peu à peu fait entrer dans les possessions des barons de Semur des fiefs importants, situés en dehors du Brionnais, en particulier ceux de Luzy et de Bourbon-Lancy. Mais leur race allait à son tour, faute d'héritiers mâles, se fondre dans d'autres maisons. Alix de Semur, mariée à Simon, seigneur de Broyes et de Châteauvillain, sur les limites de la Champagne et de la Bourgogne, resta dernière représentant de ses ancêtres et transmit vers 1260 leur patrimoine et leur titre à son fils Jean de Châteauvillain. A partir de ce moment, c'est-à-dire vers la fin du règne de saint Louis, Semur devint, à peu de chose près, ce qu'il est resté depuis. La ville se composa d'un petit groupe de maisons d'artisans, libres de leurs personnes et pouvant aller s'installer ailleurs, depuis qu'à l'exemple du reste de la France, leur seigneur les avait affranchis ; ce qui pour Semur serait arrivé en 1251. Dans les campagnes du voisinage étaient établis des cultivateurs, laboureurs ou vignerons, les uns propriétaires de leurs terres, les autres attachés à leur domaine, tous protégés par le seigneur dont ils dépendaient, souvent maltraités ou pillés par les seigneurs du voisinage, s'ils étaient les plus puissants ou les plus ambitieux. Dans l'enceinte du château fort s'était bâtie, dans le cours du XII° siècle, une belle église dédiée à saint Hilaire, où des prêtres, vivant en communauté et formant une collégiale, assuraient la perpétuité du service divin et servaient de curés aux gens de la ville, pendant que ceux de la campagne continuaient à avoir pour centre de leur paroisse la vieille église bâtie dans la vallée sous le vocable de saint Martin. La souveraineté du pays de Semur et des environs étant passée à une famille étrangère au pays et plus richement possessionnée ailleurs, les barons de Semur ne résidèrent plus dans leurs terres du Brionnais. Ils se contentèrent d'y entretenir quelques fonctionnaires, nommés par eux, chargés d'y maintenir leurs droits, d'y rendre en leur nom la justice et d'y percevoir les redevances qui, maintenant sous le nom d'impôts, se payent à l'État, au département et à la commune pour nous assurer les services confiés à cette époque aux seigneurs féodaux. Le principal était le châtelain, lieutenant du baron, gardien de ses droits, chargé de les défendre contre toute entreprise, d'assurer l'ordre public par le règlement des procès et la punition des délits. Quelques autres subalternes, sergents, notaires, procureurs et clercs suffisaient en temps ordinaire à ces fins. Quand, aux époques de troubles, on craignait une incursion des voisins ou qu'il fallait préparer une expédition de guerre, la forteresse de Semur recevait une garnison de gens d'armes et le vieux donjon servait toujours de lieu de refuge ou de poste d'observation. Mais de saint Louis, jusqu'au début du XIV° siècle, sous le règne des derniers capétiens, le pays, resta paisible et la royauté devenue forte savait prévenir et arrêter dès le début les querelles entre seigneurs. La baronnie de Semur appartint alors aux seigneurs de Châteauvillain et les trente ou quarante ans qu'ils la possédèrent, ne furent marqués que par des fondations pacifiques ou des transactions à l'amiable. En 1274, Jean de Châteauvillain s'entendait avec l'évêque d'Autun, Girard, pour fonder le chapitre de l'église Saint-Hilaire de Semur. En 1290, il passa avec le prieuré de Marcigny, un traité plus explicite que celui de 1100, pour la fixation de leurs droits et l'étendue de leurs juridictions. Il y fut stipulé que le seigneur de Semur et ses successeurs auraient le droit de garde [1] dans la ville de Marcigny et dans les paroisses de Baugy, de Saint-Martin-du-Lac, d'Iguerande, dans les prévôtés d'Heurgues, de Chessy, d'Argues et de Farges et sur tous les hommes de la châtellenie de Semur.

[1] Droit qu'un seigneur avait d'administrer certains biens de ses vassaux mineurs, analogue au pouvoir de tuteur pour les autres biens.

On lui réservait également la connaissance et le règlement de tous les procès entre marchands. Mais sur tout le reste il s'engageait à ne jamais accueillir les plaintes et à ne jamais juger les différends des habitants des susdites paroisses. On le déboutait de ses prétentions à la haute justice et à la perception de certaines amendes sur les habitants de Briennon, d'Iguerande, de Mailly, de Marcigny, de Baugy et des autres lieux susnommés. On confirmait au prieur de Marcigny le droit de tenir marché dans cette ville et dans l'étendue de son territoire. Enfin on fixait les limites de Semur, ce qu'on appelait à cette époque les bans, c'est-à-dire le territoire dans l'étendue duquel le seigneur de Semur avait seul le droit de publications diverses, de convocation et d'appel des hommes d'armes, d'établissement de moulins, fours et pressoirs auxquels il pouvait assujettir tous ses sujets. Il sera intéressant de rappeler ici ces limites pour les comparer avec celles d'aujourd'hui. Elles commençaient aux Chevannes, endroit situé entre Rochefort et les Igaux, se dirigeaient vers la croix de Fontbernon aux plains de la Faye, englobaient la grange de la Faye, allaient de là vers les bois de Montjorné à la queue de l'étang de Montmegin, puis à un carruge sur le grand chemin de Sainte-Foy à Marcigny, et en passant en dehors de la Craye allaient rejoindre à travers la vallée et sur l'autre colline le grand chemin de Marcigny à Jonzie, suivaient cette route jusqu'à un endroit appelé Crot-au-Loup, redescendaient vers l'église de Sellé et de là atteignaient en droite ligne les Chevannes. Vers 1320, le mariage d'une héritière de la maison de Châteauvillain avec le comte de Beaujeu, Guichard VI, fit passer dans cette famille plus puissante le titre et les droits du baron de Semur. Elle en jouit pendant toute la durée du XIV° siècle, au moment des grandes défaites de la Guerre de Cent ans, Crécy et Poitiers, des incursions du Prince Noir, jusque dans les plaines de la Loire, des ravages des compagnies de soldats indisciplinés, plus désastreux que ceux de la guerre pour les pays qu'ils traversaient. Même avant que ces longues années de pillages et les malheurs de la royauté eussent amené, pour la région Brionnaise comme pour ses pays limitrophes, l'insécurité, le désordre et la ruine, Semur fut troublé par les entreprises ambitieuses de ses nouveaux barons. Pour la maison de Beaujeu, qui des bords de la Saône avait fini, grâce à des agrandissements continus, par arriver, à ceux de la Loire, la possession du château fort de Semur avait plus d'importance que pour des seigneurs éloignés. C'était, sur les frontières et même à l'intérieur des États des ducs de Bourgogne une excellente place de défense et d'offensives comme plus tard nos rois avaient su en obtenir contre l'Allemagne sur la rive droite du Rhin. Mais aussi, comme sur toutes les frontières, la garde du pays devait être assurée et les droits du souverain, bien mis à l'abri de toute contestation. Les châtelains des comtes de Beaujeu, en résidence à Semur, surtout quand ils se sentirent appuyés par des maîtres ambitieux et résolus, ne se firent point scrupule de maintenir et même d'augmenter ces droits par la force. L'un d'entre eux surtout est connu pendant cette période de l'histoire des barons de Semur. Bernard de Montchauvet, dont la famille, originaire du Forez, avait déjà obtenu des charges importantes dans le chapitre de Saint-Hilaire, rendait la justice à Semur au nom de Guichard VI et y commandait la garnison de ses hommes d'armes. Les entreprises contre les droits du couvent de Marcigny se renouvelèrent si longtemps et furent regardées par les religieuses comme si excessives qu'elles finirent par amener une plainte de leur prieur au roi de France. Sous le prétexte d'une conspiration, il avait fait conduire dans les prisons du château de Semur des étrangers contaminés qu'on tenait aux portes de Marcigny, sur la route de cette ville à Charlieu, au lieu encore appelé la Maladière. Obligé de les ramener dans cet hôpital, il les y fit, dit-on, brûler vifs, pilla la maison et emprisonna souvent les justiciables du prieuré, sans compter les dîmes de grains ou d'autres denrées, les droits de péage sur les routes de la Loire qu'il fit lever à son profit et dont il priva les religieuses. L'information sur cette plainte fut confiée au bailli de Mâcon et le roi condamna le comte de Beaujeu à rétablir la Maladrerie, à mettre incontinent hors de ses prisons tous les gens du prieuré et à payer une forte indemnité au couvent d'une amende au roi. Cette sentence sévère arrêta les violences dont souffrait le pays de la part de ses maîtres. Mais un fléau plus redoutable atteignit alors Semur et le ruina pour longtemps. La guerre contre les Anglais, après la défaite de Poitiers où le comte de Beaujeu trouva la mort, amena les invasions de leurs bandes victorieuses jusque sur les territoires du Forez, du Bourbonnais et de la Bourgogne. Marcigny fut ravagé et la forteresse de Semur, si l'on en croit la tradition, fut alors brûlée et démantelée, sans qu'il soit bien sûr que depuis elle ait jamais été remise en parfait état de défense. Au début du XV° siècle, quand après le règne pacificateur de Charles V, allait commencer la querelle des maisons d'Orléans et de Bourgogne, prélude d'Azincourt et de la plus triste époque de notre histoire nationale, la baronnie de Semur passa, par une cession des comtes de Beaujeu, aux ducs de Bourbonnais, possesseurs de tout le pays d'outre Loire. Ils la conservèrent durant les règnes de Charles VI et de Charles VII. Mais à ce moment la lutte entre les Anglais et le parti Bourguignon avait pour théâtre d'autres régions de la France, placées loin du Brionnais, et rien ne nous est parvenu de notable sur les destinées de Semur à cette époque. Peut être que les traces de restauration que la tour de saint Hugues porte encore datent de ces années de troubles. Quoiqu'il en soit, l'indépendance du pays allait finir en même temps que celle du duché de Bourgogne. Quand Louis XI, après la mort de Charles le Téméraire, eut réuni à la couronne les États de son rival, le Brionnais, placé sur les limites du comté de Charolles, s'annexa, par la force naturelle des choses, au domaine du roi de France. Louis de la Trémoille, gouverneur de Bourgogne au nom de Charles VIII, s'était marié, en 1485, avec une fille de la maison ducale du Bourbonnais qui lui avait apporté en dot la baronnie de Semur. Il la vendit l'année suivante au roi de France qui jusqu'à la Révolution resta souverain possesseur du Brionnais. Le titre de baron de Semur ne devait pourtant pas se perdre. Il avait été porté depuis, trop de siècles et par des noms trop illustres pour que les rois, conservateurs nés des privilèges de la noblesse quand ils n'avaient rien de dangereux pour leur autorité, ne cherchassent pas à le maintenir. Tout en exerçant à Semur et sur tout le Brionnais, comme sur le reste, du royaume, les droits de souverains absolus par la levée des troupes, le maintien de l'ordre public, la perception des tailles et l'administration de la justice, ils cédèrent souvent le titre de baron de Semur avec quelques menus droits de préséance ou d'information, plus honorifiques que réels. Cette cession ne se faisait d'ailleurs qu'à des familles nobles et n'était pas un moyen facile de faire sortir de leur condition des roturiers favorisés par la fortune. Aussi, tout en ne représentant presque plus rien de ses anciens droits, ce titre resta dans les meilleures et plus anciennes familles de la noblesse des environs. Sous François Ier, il appartenait au maréchal de La Palisse, glorieusement tué à Pavie. Sous Henri IV, il passa au vicomte d'Amanzé et à Rolin de Sainte-Colombe, seigneur de Laubépin et de Sarry, puis aux comtes de Brèves, seigneurs de Maulévrier et d'Artaix. En 1660, le comte de Coligny, seigneur de La Motte-Saint-Jean, aide du grand Condé, était baron de Semur. C'est de cette famille que ce titre passa par une cession régulière à celle qui le porte encore aujourd'hui, les Dupuy de Saint-Martin. Originaire du Forez, cette maison était au début du XV° siècle en possession de riches fiefs et d'importantes fonctions militaires vers St Germain-Laval et Saint-Galmier. Une branche vint s'établir à Marcigny où, par d'honorables charges dans l'administration de cette ville et par des alliances avec les meilleures familles du pays, elle acquit les domaines nobles de la Fay, des Falcons, de Narbot et fit bâtir près de l'église de Saint Martin de la Vallée un château qui finit par devenir sa principale résidence. Sur le vieux tableau qui garnit le fond du chœur de cette église on trouve les armoiries des Dupuy : D'or à la bande de sable, chargée des trois roses d'argent, du chef d'azur chargé de trois étoiles d'or, avec la couronne du baron et la devise : Spes mea Deus. On pourra les ajouter, afin de rattacher les derniers titulaires de la baronnie de Semur aux premiers possesseurs de cette dignité, aux armes, primitives de cette ville : D'argent à trois bandes de gueules.

L'église Saint-Hilaire et la collégiale de Semur : Si les débris mutilés de la tour Saint-Hugues ne rappellent plus que vaguement ce que fut l'ancien château-fort de Semur, il reste du passé de la ville un monument toujours intact, la belle église romane qui touchait, à l'ouest, l'enceinte de ses murailles. Des bâtiments l'encadrent et la masquent presque de tous côtés, en sorte qu'on l'aperçoit à peine de la vallée de Marcigny. Il faut arriver jusqu'à son chevet pour en découvrir l'ensemble et l'admirer à son aise. Elle fait d'ailleurs très bonne figure dans la série des monuments de même style qu'on rencontre dans le reste du Brionnais ou aux environs, à Charlieu, Iguerande, Baugy, Anzy-le-Duc, Varennes-l'Arconce, Châteauneuf-sur- Sornin et le Bois Sainte-Marie. Plus heureuse que la plupart des autres, elle n'a reçu du temps que des blessures de détail. Malgré quelques restaurations où se montre plus de zèle que de goût, elle se présente comme l'un des meilleurs spécimens de l'art roman bourguignon. L'époque de sa construction n'est pas exactement conuue. II semble pourtant, à voir le fini des détails et l'emprunt manifeste des motifs d'ornementation aux diverses églises de la région, que celle de Semur est l'une des dernières en date et doit appartenir au XIII° siècle [M. Jeanhez croit que sa construction remonte à la fin du XII° siècle]. D'ailleurs, la grandeur du vaisseau, manifestement disproportionné avec le nombre des habitants de la ville, permet de croire que cette église fut bâtie dans l'intention d'y établir la récitation publique et permanente de l'office divin plutôt que d'en faire le centre d'une paroisse. L'église rurale, anciennement bâtie au fond de la vallée et dédiée à saint Martin, a servi jusqu'à la Révolution aux exercices du culte public pour les villages des alentours. Celle que les barons de Semur édifièrent ensuite dans leur « castrum » n'était donc pas destinée à la remplacer mais à servir de témoignage de leur piété et à leur assurer le secours perpétuel de prières plus abondantes. En la construisant ils durent avoir le projet d'y établir un chapitre et, s'ils ne réalisèrent ce projet qu'en 1274, on est autorisé à croire que l'église nouvelle ne resta pas un siècle entier sans être dotée de son collège de chanoines et qu'elle date bien du règne de saint Louis, dernier spécimen dans notre région d'une architecture plus ancienne qui commença vers l'époque de saint Hugues et atteignit sa perfection sous les règnes de Louis le Jeune et de Philippe-Auguste. Description, de l'église : Venant le dernier en date des monuments romans du Brionnais, l'église de Semur en présente un type parfait comme proportions. Son architecte s'est inspiré de Paray, de Cluny et surtout d'Autun. La décoration sculptée emploie les crochets et les motifs empruntés à la flore indigène ; c'est la caractéristique décorative du XIII° siècle. L'église est à trois nefs avec une travée de chœur, terminée par une abside en hémicycle et deux travées latérales terminées en absidioles. La construction régulièrement orientée est en grand appareil. La nef était voûtée sur doubleaux redoublés en berceau brisé. Il ne reste de cette voûte primitîve depuis les incendies du XVI° siècle que les doubleaux et les compartiments de la quatrième travée. Les autres compartiments ont été rétablis au XIX° siècle en berceau plein cintre. Les piliers sont cantonnés latéralement de colonnes engagées et dans la nef de dosserets redoublés qui au rez-de chaussée ont la forme de pilastres cannelés et, à l'étage, de colonnes engagées avec chapiteaux feuillus. Les bas-côtés sont voûtés d'arêtes avec doubleaux simples et brisés qui retombent sur une garniture de dosserets rectangulaires appliqués contre le mur. Ils communiquent avec la nef par de maîtresses arcades brisées à deux rangs de claveaux qui sont surmontés d'un triforium, dont les arcades sont au nombre de trois dans chaque travée. Ce triforium élégant n'a eu qu'un but décoratif, comme ceux de Paray et d'Autun. Les bras du transept sont en faible saillie sur les bas-côtés et sont voûtés en berceau brisé. La croisée est surmontée d'une lanterne formée d'une coupole octogonale sur quatre trompes au-dessus d'un étage d'arcades aveugles disposées par deux et par trois sur chacune des huit faces correspondant aux pans de la coupole. Le sanctuaire se compose d'une travée de chœur en berceau brisé, précédant une abside semi-circulaire voûtée en cul-de-four ovoïde. Dans cet hémicycle, une garniture d'archivoltes sur colonnettes et pilastres alternés fait saillie sur la muraille et encadre trois baies et deux arcades aveugles. Les deux absides latérales, voûtées en cul de four ovoïde, précédées de petites travées de chœur, ouvrent sur le sanctuaire par deux arcades à deux rangs de claveaux. Le rang inférieur est porté par des pilastres très courts suspendus en encorbellement sur des corbeaux sculptés de petits atlantes diaboliques. Les faces des pilastres sont décorées de fleurons, de rinceaux et de rubans plissés. La chapelle annexe sud-est est du XVI° siècle. La façade basilicale est ajourée d'un oculus dont les dimensions annoncent les roses de l'architecture gothique. Au rez de chaussée, le portail s'ouvre sur trois archivoltes en tiers-points. La plus profonde se dessine en tore vêtu de gaufrures qui se continuent sur les deux colonnettes de support. La seconde est tordue en spirales ainsi que ses colonnes. La plus extérieure se compose de deux bandeaux à l'aplomb du mur qu'interromp à la clef un agneau nimbé, Ces bandeaux et les pilastres qui les portent sont ciselés d'entrelacs et d'oves enrubannés de la nef de Paray. Ces décors se reproduisent sur les plinthes des bases. Les chapiteaux sont chargés d'étages d'acanthes ou de palmettes, quelques-unes recourbées en volutes. Un seul est historié de significations symboliques de l'impureté. Sur le tympan, un Christ bénissant, entouré des attributs évangéliques, est assis dans une auréole portée par deux anges. Rien d'artistique dans cette composition. La tête du Christ a été refaite. Le linteau représente la traduction, du naïf, récit de Jacques de Voragine, dans la légende de saint Hilaire. C'est la tenue, en 359, du concile de Séleucie, où se rend l'évêque de Poitiers pour combattre l'arianisine. Dix évoques, distribués en plusieurs groupes, trônent sur de longs sièges rectangulaires à petites arcades cintrées. Au milieu, saint Hilaire est assis à terre parce qu'on n'a pas voulu lui faire place, et au-dessus de lui plane l'ange qui va le soulever â la hauteur des autres. A droite est une traduction un peu libre de la mort du pseudo pape Léon, corrompu par le venin de l'hérésie et président du concile. Il se propose de faire périr saint Hilaire qui, pour toute défense, lui annonce sa mort immédiate. « Et de fait, comme le pape alla où l'appelaient besoins de nature, il périt misérablement en répandant dehors toutes ses entrailles. » Le sculpteur n'a rien dissimulé. Le pape assis sur une chaise spéciale rend à la fois ses entrailles et son âme qu'un démon lui arrache de la bouche sous forme d'un petit enfant ». A l'autre extrémité du linteau, se voit un palais roman à portiques cintrés et terrasses chargés de spectateurs. L'art n'a rien de commun avec cette frise. La disproportion des personnages à têtes énormes, l'abscence totale d'expression et la grossiéreté des types nous ramènent en pleine tradition gallo romaine. C'est lâ un fait étrange et irréconciliable avec l'âge du monument. Ce bas-relief semble avoir appartenu à un autre édifice plus ancien. Ce qui permet de le supposer, c'est qu'il n'a aucun rapport de style ou d'exécution avec le Christ du tympan et ne provient pas du même banc de pierre calcaire. On pénètre dans les bas-cotés de l'église par deux portes en plein cintre richement décorées. Celle du nord est d'une harmonie de proportions qui en fait un modèle. Son tympan, orné de trois lobes fleuronnés rayonnants, a pour cadre un cable tordu en spirale sur deux colonnes unies. Les autres archivoltes, en forme de bandeaux plats, sont chargées de billettes et d'oves enrubannés, ainsi que leurs pilastres. Quant au linteau, il se compose d'une frise, fleuronnée d'un beau dessin sous une corniche à palmettes. Au-dessus de cette porte s'ouvre une fenêtre qui est une vraie perle architectonique. L'abside à deux contreforts surmontés de chapiteaux richement refouillés qui portent les glacis. Les modillons de l'abside sont remplacés par une balle arcature lombarde. Le clocher, de forme octogonale, se compose de deux étages couronnés par une torsine très obtuse en pavillon à huit pans. L'étage inférieur de la tour est décoré de hautes arcades aveugles en plein cintre disposées par deux sur chacune de ses huit faces. Leurs archivoltes sont ornées de billettes. L'étage du beffroi repose sur une corniche à petits crénelages carrés. Chacune de ses faces, est encadrée de colonnettes engagées sur les arêtes de la construction et qui se rejoignent au sommet par un rang de cinq petites arcades aveugles en plein cintre. Le centre du compartiment est percé de deux baies géminées et cintrées, au fond de trois voussures donnant un large ébrasement. Ces voussures portent sur des colonnettes à chapiteaux romans, analogues à ceux de la nef. La tribune est un des plus étranges détails du monument. C'est un encorbellement formé de douze rangs de tores superposés en saillie progressive et qui du sommet intérieur de la nef, s'élève jusqu'au niveau du triforium. Il est difficile d'y voir une tribune car on n'y remarque aucun moyen d'accès. On ne peut y arriver qu'en rampant sous le comble en appentis du bas côté septentrionnal. Tout le monument appartient au roman de transition de la fin du XII° siècle. » [ E. Jeannez, L'Art roman en Brionnais, p. 84 et s.] Cette église fut pillée une première fois, en 1364, par le prince de Galles, puis incendiée par les Calvinistes, en 1576. Il en résulta la chute de presque toutes les hautes voûtes. On les remplaça d'abord par des lambris ; le curé Bonnardel les fit refaire en maçonnerie. En 1854, l'abbé Lamotte fit restaurer par Perrin, de Mâcon, les pignons et une partie du clocher. En 1889, on enleva l'ancien badigeon intérieur et on refit les joints d'appareil et on ferma les baies avec des vitraux peints par M. Bégule, de Lyon.

Fondation du chapitre de Semur : Ce superbe monument, hommage anonyme de la dévotion des seigneurs semurois, devint vraiment la maison de Dieu, quand la prière publique y fut organisée pour toujours. Cet acte important qui dota Semur pendant cinq siècles d'une association de prêtres, chargés du service de la nouvelle église de Saint-Hilaire, nous est connu dans tous ses détails, grâce à la conservation du titre authentique qui en fut rédigé en 1274. Jean de Châteauvillain, baron de Semur, d'accord avec l'évêque d'Autun, Girard de Beauvoir, déclara qu'il y aura désormais, dans l'église de Saint-Hilaire de Semur en Brionnais, treize chanoines chargés de chanter le saint office et de rappeler, sur terre, par ces louanges ininterrompues en l'honneur de Dieu, l'occupation des bienheureux dans la céleste Jérusalem. De ces treize prêtres, trois devaient être dignitaires du chapitre ; c'était le doyen, le chantre et le sacristain ; les dix autres avaient le simple titre de chanoines. Les revenus du chapitre, mis en commun, devaient être partagés en quinze parts ou prébendes. Le doyen en avait deux ; le chantre et le sacristain, chacun une part et demie. La nomination des dignataires devait appartenir au chapitre, avec obligation, de faire confirmer son choix par l'évêque d'Autun. Les chanoines étaient nommés à tour de rôle, à mesure que se produisaient les vacances, par l'évêque d'Autun et par le baron de Semur. Pour assurer le logement et l'entretien des chanoines, Jean de Chateauvillain donnait au chapitre le plein droit d'acquérir des terrains et de bâtir, dans la portion occidentale de l'enceinte tortillée, à partir du chemin qui de la porte de la Madeleine tendait vers la poterne, jusque vers les murailles de la haute ville. Cet espace entourait l'église. On y trace d'abord le terrain nécessaire pour la sépulture des morts et les maisons qui, de nos jours encore, bordent l'église au sud ; celles qui du côté du nord ont été démolies et remplacées par les bâtiments du Petit-Séminaire, formaient le quartier ecclésiastique, la part de Dieu et de l'Église, pendant qu'à l'autre extrémité du castrum, se dressait le donjon entouré des demeures des soldats et des officiers de la justice des barons. Comme premier apport pour la constitution des revenus du chapitre, le seigneur de Semur lui donnait vingt livres tournois de rente annuelle et perpétuelle, assignés sur ses domaines. Il permettait aux chanoines d'augmenter cette somme par la suite jusqua la concurrence d'un revenu de deux cent livres tournois dans l'étendue de sa baronnie. Enfin il leur accordait le droit de pêcher dans la Loire le poisson nécessaire à leur usage. De son côté, l'évêque d'Autun, réglait la situation respective de l'ancienne église de la vallée et du nouveau chapitre de Saint Hilaire. Tout en restant paroisse distincte de la ville de Semur, Saint Martin était uni au chapitre et le service spirituel en était confié au doyen et aux chanoines, qui devaient y aller célébrer les offices, administrer les sacrements et donner aux morts la sépulture chrétienne pour les habitants des villages de la banlieue de Semur, sauf Montmegin qui avec sa modeste chapelle faisait jusqu'à la Révolution un groupe autonome. Pour augmenter les ressources du chapitre, il était stipulé que tous les revenus et le casuel des deux églises serait mis en commun et partagé entre tous les chanoines. Les doyens du chapitre de Semur : Cette charte de fondation, que nous venons de résumer, a été reproduite dans le cartulaire de l'Evêché d'Autun. Si l'on s'en rapporte à un renseignement des papiers du prieuré de Marcigny, les dispositions en auraient été calquées sur celles de la collégiale de Montbrison. De fait, ce fut un forézien, Nicolas de Montchauvet, qui le premier fut mis à la tête du chapitre de Semur, en qualité de Doyen : « Sa grande érudition en la jurisprudence dont les charges étaient alors pour l'ordinaire exercée par des ecclésiastiques lui servit de marche pour être élevé en la dignité qu'il posséda dans l'église. Le seigneur de Semur le nomma premier doyen du chapitre qu'il venait de fonder en cette ville et voulut qu'avec cette dignité, il conserva celle de juge qu'il avait auparavant. La réputation de ce savant homme, s'étendait par toute la Bourgogne. Le duc Robert, deuxième du nom, concevant beaucoup d'estime et d'affection pour lui, outre la judicature qu'il avait au nom du baron de Semur, luj donna celle celle du bailliage que le duc de Bourgogne avait en ville et y joignit encore celle du baillage de Montcenis. » La Mure, Histoire du Forez. Ses successeurs immédiats n'héritèrent pas de sa célébrité, Jusqu'à la fin du XV° siècle la liste des doyens du chapitre de Semur ne renferme, avec bien des lacunes, que des noms inconnus. Quand, à la mort de Charles le Téméraire, lé Brionnais, avec le reste de la Bourgogne, fut réuni à la couronne et que, peu après, les droits des barons de Semur furent cédés à Charles VIII, la nomination des doyens de l'église de St-Hilaire appartint par moitié aux rois de France. Au lieu d'ecclésiastiques sans autorité et tirés sans doute des paroisses ou des communautés du voisinage on choisit pour doyens, des noms plus célèbres, et ce bénéfice passa, comme la plupart des autres revenus d'Église, aux cadets des grandes familles de noblesse, attachés au service du roi dans ses armées ou ses tribunaux. La charge de doyen de Semur n'assurait pas des revenus fort élevés, suffisant pour un train de maison considérable. Aussi n'était-ce qu'un supplément destiné à parfaire les revenus d'autres bénéfices et en même temps que le roi de France ou l'évêque d'Antun le conférait à un ecclésiastique, ils ne lui enlevaient pas ses autres titres ou dignités. Depuis le règne de Louis XI jusqu'aux guerres de religion, le décanat de l'église de Saint-Hilaire, appartint à des ecclésiastiques de deux familles bien connues dans la noblesse du Brionnais, les Damas et les Digoine. Après Jean Rollin, neveu du célèbre cardinal de ce nom, et qui, sans compter sa charge de doyen de Semur, fut prieur de Saipt-Marcel-les Chalon et abbé commandataire de Saint Martin d'Autun, avant de devenir lui-même évêque de cette ville, Philibert de Damas et Jean de Damas furent doyens de l'église Saint-Hilaire de 1476 à 1555. Leur famille, richement possessionnée et largement apparentée dans toute la région brionnaise, avait, à Semur même, la petite seigneurie de la vallée, sous les murs de la ville et occupait dans le ressort du bailliage, une charge de judicature inférieure. En même temps qu'ils présidaient au service divin et assuraient le service religieux de Semur, ils pouvaient trouver appui et protection pour la défense des intérêts temporels du chapitre. Aussi est-ce durant cette période que furent réglées à l'amiable un certain nombre d'affaires litigieuses, pendantes entre les chanoines de Semur et les paroisses des environs. Du passage des Damas en notre ville, il reste un témoignage dans l'église même où ils ont présidé si longtemps, Le plan primitif ne comprenait pas de sacristie. C'est au XVI° siècle que fut construite, au midi de l'abside, celle qui existe maintenant et qui d'ailleurs a été depuis allongée d'une façon plus utile que gracieuse, pour servir de dépôt aux vases sacrés, aux ornements et aux archives de l'Église. A la clef de voûte se voient encore les armes des Damas : De gueules à la croix ancrée d'or. Philibert de Damas mourut en 1522. Son épitaphe se lisait sur une tombe dans l'église de Marcilly-les-Buxy. « Ci git révérend père, Messire Philibert Damas, en son vivant protonotaire et doyen de Semur en Brionnais, chanoine de Saint-Ladre d'Autun, curé de Mellecey, de Lenax et de Fautrières, qui trépassa le huitième jour d'octobre 1522. Priez Dieu pour son âme. Deux ans avant sa mort il avait résigné sa dignité de doyen en faveur de son parent Jean de Damas, qui durant 35 ans présida le chapitre de Saint-Hilaire. Aux Damas succédèrent deux doyens d'une autre famille également célèbre, les Digoine. Le petit fief du Palais qu'ils possédaient à Mailly, dans le voisinage de Semur, fut sans doute l'occasion qui leur fit ajouter à leurs autres bénéfices le décanat de cette ville. Guillaume de Digoine, curé d'Oyé et chanoine de Saint-Pierre de Mâcon, le posséda de 1555 à 1582. Après quelques difficultés, il y fut remplacé de 1583 à 1610 par François de Digoine. Ce demi-siècle coïncide avec la période la plus troublée de l'histoire de Semur et le plus triste attentat qu'ait subi l'église de Saint-Hilaire. En 1576, un détachement de l'armée des reitres, conduite par le prince Casimir et le prince de Condé, en pilla le trésor, en incendia les papiers et les ornements. Quinze ans plus tard, les troubles de la Ligue mirent de nouveau le désarroi dans le service du chapitre. Il fallut le retour de l'ordre public sous Henri IV pour que la régularité d'autrefois pût reprendre parmi les chanoines et se maintenir durant les deux siècles qu'allait encore durer la collégiale de Saint-Hilaire. Ce fut à une famille purement semuroise, les Bouthier, qu'appartint l'honneur d'en présider le chapitre à la belle époque de l'histoire de notre pays et de l'église gallicane. Avant qu'ils en devinssent les doyens, Jean de Massenay, dont les parents possédaient la terre du Lac, près d'Anzy-le Duc, exerça ces fonctions durant 47 ans, de 1610 à 1657 ; mais sa nomination amena d'abord des divisions dans le chapitre. Mal accueillie par une famille alors puissante à Semur, les Rousset, dont les membres furent longtemps à la tête du bailliage de cette ville et occupaient dans le chapitre la seconde dignité de chantres, elle donna lieu à des querelles de préséance, dans le genre de celles qu'a ridiculisées le Lutrin de Boileau, mais que traitent et essayent de régler fort sérieusement les pièces de procédure que nous a transmis le mémoire. Assoupies avec le temps, ces discussions ne prirent véritablement fin qu'à la mort de Jean Massenay. Les trois doyens qui lui succédèrent, Jean Bouthier (1657-1685), François Bouthier (1685-1718) et Claude Bouthier (1718-1761) virent des temps plus calmes et n'eurent guère à s'occuper que de la bonne gestion des revenus du chapitre et de l'exacte célébration des divins offices. Ils s'acquittèrent avec zèle et avec succès de cette tâche. Sans entrer dans le détail de leur administration, conservée au long dans de nombreuses pièces originales, il nous suffirai pour en donner une idée exacte et en même temps pour faire connaître l'organisation du chapitre de Saint Hilaire, de résumer le long règlement en 43 articles où François Bouthier condensa en 1701 toutes les anciennes ordonnances de ses prédécesseurs. Statuts du Chapitre de Semur : 1° Chaque année, le dimanche de la Trinité, se tenait une assemblée générale du chapitre à laquelle étaient obligés de se rendre, sous peine d'être privés de leur traitement annuel, tous les membres, doyen, chantre, sacristain et chanoines. Dans cette réunion se lisaient les statuts du chapitre et se donnaient les avis nécessaires au maintien du bon ordre et de la régularité. 2° Quand un ecclésiastique, nommé chanoine de Saint-Hilaire, voulait prendre possession de sa dignité, il présentait ses lettres de nomination au doyen du chapitre qui en donnait lecture aux chanoines et les faisait transcrire sur les registres de la communauté. La cérémonie de la prise de possession se faisait à l'entrée ou à l'issue d'un des offices, en la forme ordinaire, encore usitée de nos jours pour l'installation d'un curé dans une paroisse. Un récipiendaire payait un droit de 12 francs pour l'entretien des ornements de l'église. Avant de percevoir aucun émolument, il devait faire un stage de quarante jours, et même la première année de son entrée, il abandonnait la part qui lui revenait dans les vignes du chapitre, pour les réparations de l'église. 3° Trois fois par jour, les chanoines étaient tenus de se rendre à l'église pour y célébrer l'office divin. En hiver, c'est-à-dire, depuis la Toussaint jusqu'à Pâques, ils chantaient les matines à 6 heures du matin, la grand'messe à 9 heures et les vépres à 2 heures du soir. En été, c'est-à dire depuis Pâques jusqu'à la Toussaint, les matines étaient à 5 heures du matin, la grand'messe à 8 heures et les vêpres à 3 heures du soir. Les stalles, d'ailleurs sans aucun caractère, où ils se tenaient, présidés par le doyen, pour cette récitation quotidienne des prières liturgiques, se voient encore en avant du sanctuaire dans la travée du transept de l'Église. 4° Cette célébration des divins offices étant la partie principale des fonctions du chapitre, le but même que s'étaient proposé ses fondateurs, les statuts avaient veillé à assurer par des moyens efficaces l'exacte assistance des chanoines à toutes ces réunions. L'un d'entre eux, appelé le plombier ou ponctuateur, était chargé de constater, chaque fois, l'état des présences et des absences. Aux matines et aux vêpres cette constatation s'effectuait après le chant du premier psaume, et à la messe avant le chant de l'Evangile. On donnait aux chanoines présents des jetons en plomb dont le nombre déterminait pour chacun la part proportionnelle qui lui revenait dans le casuel du chapitre. 5° Pour mieux obtenir encore la régularité dans l'assistance aux chœurs, chaque chanoine, à tour de rôle, était obligé de célébrer pendant une semaine la grand'messe du chapitre. II prenait alors le titre de chanoine hebdomadier et il devait, avec les trois autres qui l'avaient précédé dans les mêmes fonctions, le trouver à tous les offices depuis le commencement jusqu'à la fin. 6° En outre de la récitation du saint office, le chapitre était tenu de faire célébrer un grand nombre de messes. C'était le résultat des différentes libéralités qui, dans le cours des siècles, avaient peu à peu augmenté son revenu et permis à l'œuvre de Jean de Châteauvillain de subsister, malgré la diminution de ses ressources primitives. Les pieux fidèles qui avaient laissé à l'église de Sainl-Hilaire des biens fonds ou des sommes d'argent, avaient d'ordinaire grevé leurs dons de quelques-charges. La plus ordinaire était la fondation de services au jour anniversaire de leur mort ou la récitation de Libera ou de Salve Regina auprès de leur tombeau ou vers le grand autel à l'issue de la messe. Aux dates marquées, les chanoines, présents à Semur, disaient ces messes aux divers autels de l'église, selon l'intention des fondateurs. 7° Les chanoines de Saint-Hilaire portaient l'habit des prêtres séculiers. Durant les offices, leur costume était celui des autres églises collégiales, le surplis et l'aumusse ou capuchon fourré. 8° A partir du XVIII° siècle, l'usage s'établit d'enterrer dans le chœur de l'église les chanoines qui mouraient à Semur. L'entrée du caveau funéraire se voit encore dans la nef près de la porte latérale nord. En soulevant la table qui la ferme, il est facile de visiter les tombes des derniers doyens, seul souvenir, hélas ! du chapitre de Saint-Hilaire, comme de tant d'autres œuvres-humaines ! 9° Dans la sacristie se trouvait le trésor du chapitre. On donnait ce nom à l'armoire, fermée à trois clefs, où étaient renfermés le sceau, les terriers et autres papiers du chapitre. Lors du passage des reitres à Semur, en 1576, ces papiers furent mis au pillage et en grande partie détruits. On les reconstitua, mais avec bien des lacunes, au moyen des doubles déposés ailleurs ou à l'aide de dépositions orales des plus anciens habitants de la ville. 10° Les fonctions du doyen étaient de présider à toutes les réunions du corps du chapitre, de faire les corrections verbales à tous ceux des chanoines qui commettaient quelque faute répréhensible à l'église ou au dehors, et d'officier aux jours de fêtes solennelles. Les honneurs attachés à sa charge et dont il avait surtout l'occasion de jouir dans les cérémonies officielles, furent plusieursfois l'occasion, de difficultés entre lui et les autres dignitaires du chapitre. Ces querelles de préséance, souvent les plus âcres de toutes, parce qu'elles sont les plus futiles, nécessitèrent parfois, pour s'éteindre, l'intervention des tribunaux séculiers et des réglementations très explicites. C'est ainsi qu'il fut décidé que dans les processions où le chapitre assistait en corps, le doyen devait marcher seul et immédiatement avant le célébrant et ses assistants et qu'il avait seul le droit de porter l'étole, en sa qualité de curé de la ville de Semur. 11° Les fonctions du chanoine chantre, second dignitaire du chapitre, étaient de remplacer le doyen en cas d'absence, de régler l'office de chaque jour pour assurer la bonne exécution des chants liturgiques. Il devait en conséquence veiller à ce que les autres chanoines fusuent présents au chœur à l'heure fixée, avertir ceux qui devaient dire les leçons des matines, les versets et antiennes des vêpres et leur donner le ton. Enfin il devait prendre garde que la récitation des prières se fit avec décence, sans précipitation et sans confusion. 12° Les fonctions du chanoine-sacristain, troisième dignitaire du chapitre, étaient de prendre soin des ornements d'église qui appartenaient au chapitre et de préparer ceux qui étaient nécessaires pour les offices de chaque jour. Il prenait soin des linges d'autel et devait tenir les chapelles convenablement garnies. Il s'occupait de la cire et de l'huile pour le luminaire des messes et l'entretien des lampes de l'église. Il avait à fournir les pains eucharistiques. Il dressait chaque semaine la liste des messes à dire et des fondations à acquitter par le chapitre. Il veillait aux réparations de l'église et avait la garde des clefs. 13° Le chanoine hebdomadier devait se trouver le premier au chœur pour y commencer les offices. Il avait soin de les faire sonner par un homme aux gages du chapitre. Une fois les chanoines assemblés en nombre, il donnait le signal pour avertir qu'il était temps de commencer. Il célébrait chaque jour la grand'messe du chapitre et du 3 mai au 14 septembre, jours des deux fêtes de la sainte Croix, après le premier coup des matines, il récitait la Passion pour la protection des récoltes, pieux usage qui s'est conservé dans beaucoup de paroisses. 14° Il était d'usage que le chanoine qui se trouvait être hebdomadier les jours de fête de saint Hilaire, patron de l'église, le 14 janvier et le 26 juin, donnât un repas à ses confrères. Cette coutume, utile pour entretenir les sentiments de bonne entente entre les membres du chapitre, fut abolie par un règlement de 1677, « s'y étant glissé quelques abus pour la dépense et trop grands frais qu'on faisait, ce qui était beaucoup à charge à celui à qui arrivait cette dépense». 15° La résidence à Semur était une des obligations imposées aux chanoines. Ils ne formaient pas une communauté régulière, ayant l'habitation et la vie commune. Ils logeaient cependant presque tous dans les maisons voisines de l'église, en particulier dans celles qui bordent au midi les murailles de la ville et où se voient encore quelques traces du cloître ou promenoir couvert à l'usage du chapitre. Cependant, pour permettre à chacun de vaquer à ses affaires, on accordait quinze jours de vacances par an, à prendre quand bon leur semblerait, sauf aux jours des fêtes solennelles où nul ne devait s'absenter ni pendant les semaines de son service.Revenus du chapitre de Semur : Assez semblable à celui des nombreuses collégiales et des autres associations de prêtres séculiers qui avant, la Révolution existaient dans toute la France, ce règlement suffisait pour maintenir le bon ordre, la décence et l'édification dans la vie des chanoines et assurer un certain éclat à la célébration des offices dans la belle église de Saint-Hilaire. Le coté faible du chapitre était ailleurs. En le fondant pour la plus grande gloire de Dieu, en le maintenant, cinq siècles durant, dans l'esprit des fondateurs, on ne parvint jamais à lui assurer des revenus stables et suffisants. Pour faire vivre treize chanoines il aurait fallu que le chapitre possédât des biens fonds assez étendus ou eût droit à des rentes perpétuelles comme lui. Dans tous les établissements ecclésiastiques, c'est là le point le plus difficile à réaliser. Il manqua à la collégiale de Saint-Hilaire et malgré les donations qui lui furent faites à son origine et qui se succédèrent dans la suite, elle resta bien souvent, dans le cours de son existence, « le plus pauvre chapitre du royaume », comme les chanoines de Semur le disaient dans une des déclarations de leurs biens. Ces déclarations, conservées dans plusieurs pièces, ont été fréquemment dressées sous l'ancien régime, chaque fois que les rois, pour taxer les communautés ecclésiastiques, exigeaient préalablement un état détaillé de leurs revenus. Nous nous contenterons d'en relever ici quelques unes des plus intéressantes, concernant le chapitre de Semur. La première date du XVI° siècle. Les doyens et chapitre de Semur ont en directe seigneurie et en la justice du roi notre sire audit Semur et aux lieux circonvoisins, à cause de la fondation de cette église faite par feu révérend Père en Dieu Girard, évêque d'Autun et noble Jean, seigneur de Châteauvillain, baron dudit Semur, en l'an 1274, au mois d'avril. 1° vin, 85 pintes ; froment, 1 bichet 1/2 ; seigle, 10 bichets ; avoine, 20 bichets ; poules, 20 ; argent; 70 livres tournois. [La pinte était la mesure usuelle pour le vin. Elle avait la valent de deux pots. Le bichet, mesure de céréales, était la quantité de blé du poids de 84 livres. Il se divisait en 4 quarteranches, de 21 livres chacune.] ; 2° A prendre sur le péage de Maulévrier et Artaix, la somme, de 20 livres ; ce péage n'est ordinairement affermé que dix ou douze livres tournois ; 3° Deux terres, situées en la paroisse de Jonzie, contenant onze bichettées, dont ils tirent chaque année onze bichets de fromen, tant que les laboureurs qui les tiennent maintenant les voudront labourer ; 4° Dans la paroisse de St Martin-du-Lac, environ trente-quatre bichettées de terre, cultivées à la tâche simple, rapportant onze gerbes par bichettée ; 5° Dans la même paroisse, environ six bichettées de terre, cultivées à la tâche, rapportant sept gerbes par bichettée : 6° Dans la paroisse de Briant, quatre bichettées cultivées à la tâche simple, rapportant dix gerbes par bichettée. A la charge et condition que les dits doyens et chanoines disent chaque jour et en tout temps matines, une grand-messe, vêpres et complies et feront les réparations de l'église. A cette dotation primitive étaient venus s'ajouter des libéralités dont voici les principales : 1° Une rente de 17 livres, 3 gros et de soixante bichets d'avoine donnée par les seigneurs de la Bazole et à prendre sur le revenu de diverses terres de Saint-Christophe-en-Brionnais, aux villages de Mussy et de Ponay, à la charge de dire chaque jour une grand'messe à l'autel de Notre-Dame ; 2° Le domaine des Chevanes, sur la paroisse de Saint-Julien-de-Cray, entre les domaines des Igaux et de Rochefort, donné en 1408 au chapitre, par Jean Bossard, bourgeois de Marcigny, rapportant chaque année 28 livres, à la charge de dire chaque jour une messe basse à l'autel de Notre-Dame et de payer chaque année 20 livres aux chapelains de Marcigny ; 3° Une rente de cent sous, donnée par Pierre Moyne, à charge de dire tous les mardis une messe en la chapelle de sainte Marthe ; 4° Diverses rentes pour, la célébration d'anniversaires à l'intention des membres des familles Moyne, Aumaître et Bouthier, notaires et procureurs à Semur ; 5° Une rente de 5 francs, 5 deniers, à prendre sur les terres de la seigneurie de la Vallée et donnée par le seigneur de la Bazole, à charge de dire tous les vendredis une messe ; 6° Une rente de 8 francs, fondée par le seigneur des Sertines, à charge de dire une grand'messe tous les lundis ; 7° Une rente de 9 francs, fondée par le seigneur de la Fay, à charge de dire une messe et de réciter l'Inviolata et le Libera tous les dimanches ; 8° Les dîmes sur les vignes des Cray, à Semur, données par le seigneur de Chamron, à charge de dire une messe, tous les jours, à l'autel de saint Pierre ; 9° Les dîmes de blé de la paroisse de Saint Martin-la-Vallée, rapportant en moyenne 25 bichets par an ; 10° Une dime de blé à Varennes, rapportant en moyenne 20 bichets per an ; 11° Le quart d'une dime de blé, en commun avec le commandeur de Launay, rapportant en moyenne 8 bichets par an ; 12° Environ 40 bichettées de bois, situés en trois endroits divers. Sur toutes ces rentes, il y avait à acquitter par an environ 80 à 100 anniversaires, et jusqu'à la fin le chapitre en vit augmenter le nombre, car les fondations de messes se continuèrent sans interruption dans l'église de Saint-Hilaire. C'est le plus clair de ses profits, avec les dîmes de blé et de vin qui se recueillaient sur le territoire desservi par le chapitre et les honoraires perçus à l'occasion des mariages et des sépultures. Pour faciliter la perception de ces revenus, dès le XVI° siècle, on prit l'habitude de les amodier à un fermier qui se chargeait de les faire rentrer et laissait le chapitre, libre de ces soucis temporels, vaquer tout entier à ses fonctions liturgiques. Nous donnerons ici le modèle de quelques-unes de ces amodiations, qui feront mieux voir au lecteur ces qu'étaient sous l'ancien régime les ressources des corps ecclésiastiques. I. Amodiation des revenus de l'église saint-Hilaire, en 1542. « Vénérables et discrètes personnes, messire Jean James, chantre ; Jean Sarrazin, sacristain ; Pierre Moine, Antoine Bouthier, Jean Lévêque et Claude Forays, tous prêtres chanoines de l'église collégiale de monseigneur saint Hilaire de Semur en Brionnais, pour les autres vénérables doyens et chanoines de cette église, absents, pour lesquels ils agissent, et se font forts, sachants et bien avisés, ont accensé et amodié à titre de cense et amodiation donnent et délivrent à vénérable et discrète personne, maître Jean Merle, aussi prêtre chanoine de cette église, présent et acceptant, à savoir : leur recette pour le temps et terme de quatre ans et quatre perceptions et levées de leurs cens, servis, lods et vends, rentes, tailles, fruits, profits et émoluments de cette recette, pour le prix et somme de quatorze-vingts livres tournois, monnaie, courante, pour chaque année des dites quatre années, celles-ci commençant la veille de saint Barthélémy apôtre, dernière passée et finissant à tel et semblable jour, lesdits quatre ans et quatre perceptions de cette recette entièrement faits, finis et révolus, le tout selon la forme et teneur des articles ci-après déclarés desquels, la teneur s'en suit : 1° Donnent les dits seigneurs au dit Merle amodiateur leurs dîmes de Tréval, tant de blé que de vin, ainsi qu'il se comporte et s'étend ; mais sans y comprendre aucune autre de leurs dîmes. 2° Donnent semblablement tous les blés qui durant ce temps se récolteront dans leurs terres tachables. 3° Donnent semblablement tous les fruits, profits et émoluments de tous leurs bois, pourvu toutefois que ledit amodiateur n'yprendra aucun bois sans le consentement du chapitre. 4° Donnent leur droit de péage de Marcigny, en la forme et manière qu'il se lève selon la pancarte. 5° Donnent tous les profits et émoluments de leur domaine des Chevanes, ainsi que leurs droits de justice dans l'étendue de ce domaine 6° Sera tenu ledit Merle de faire faire les reconnaissances et terriers de cette église et de les rendre au chapitre grossoyés et expédiés en bonne et due forme par un notaire royal, le tout à ses dépens, dans deux ans prochains. Et si aucun des tenanciers refusent de reconnaitre ce qu'ils doivent, le dit amodiateur sera tenu de les poursuivre et contraindre par voie de justice. 7° Sera tenu le dit Merle de donner banquet et réfection corporelle à tous les chanoines, chacun des dits quatre ans, le jour de la fête de la Sainte-Trinité. 8° Sont retenus et réservés et non compris en cette amodiation toutes les dîmes de vin de Semur, Saint-Martin-la-Vallée, et Montmegin ; les dîmes de blé, froment et seigle ; les oblations, la cire, et l'huile qui seront données à leur église ; les droits de bénédiction des mariages, de rendue des bans, et les terres des sépultures ; les revenus de la chapelle de sainte Marie Madeleine ; les revenus de la cure de Charrain [1] ; l'argent des anniversaires qu'on a l'habitude de payer de main en main.

[1] La paroisse de Charrain, en Nivernais, sur les bords de la Loire, près de Decise, appartenait au chapitre, qui, pour y assurer le service religieux, y nommait un prêtre à titre de vicaire. Le chapitre de Semur avait également le droit de nommer le curé de Lenax, près de Montaiguet (Allier).

9° Payer ledit Merle deux bichets de froment pour la fourniture des hosties, vingt livres chaque année aux chapelains de Marcigny, le jour de la fête de saint André. 10° Sera tenu ledit Merle de présenter chaque année ses comptes au chapitre. Et a promis ledit Merle de payer ladite somme de quatorze-vingt livres chaque année aux termes suivants : 93 livres 6 sols 8 deniers, le 1er décembre prochain ; 93 livres 6 sols 8 deniers, le 1er mars suivant et le reste, c'est-à-dire 93 livres 6 sols 8 deniers, le dernier jour de mai suivant, et ainsi des trois autres années de son amodiation et fait à Semur, en la maison dudit Merle, le 18 septembre 1542. II. Amodiation des revenus de la chapelle de Ste Marie-Madeleine, en 1512, pour la somme de 24 livres tournois par an. III. Amodiation des revenus de la cure de Charrain, 1552, pour la somme de six vingt-cinq livres tournois. IV. Amodiation des dimes de blé et de chanvre appartenant au chapitre de Semur, dans les paroisses de Semur et de Saint-Martin-la-Vallée, y compris le droit de prendre un bichet de seigle sur les dîmes de Saint-Martin-du-Lac, et quatre bichets de seigle dus annuellement au chapitre par le seigneur de la Fay, moyennant la quantité de 40 bichets de blé, un tiers froment et deux tiers seigle, mesure de Semur, et 12 livres de chanvre, payables à la fête de saint Martin, l'hiver 1590. V. Amodiation des dîmes du vin appartenant au chapitre de Semur dans les paroisses de Semur et de Saint-Martin la Vallée pour la quantité de huit bottes de vin clairet, bon, pur, loyal et marchand, la botte étant de deux poinçons, le poinçoin de quatre barraux, et le barral de vingt-sept pintes, mesure de Semur ; à charge pour les amodiateurs de conduire les raisins et vendanges aux cuves et pressoir du chapitre et de tirer le vin des cuves. Fait à Semur le 19 septembre 1588. A la fin des comptes de 1552, on lit en note : Tout le revenu du chapitre de Semur se monte à 425 livres, sur quoi il faut prendre les quinze prébendes des chanoines, sans compter, les frais et charges de l'église. A chaque chanoine serait ainsi revenue la somme de vingt huit francs environ. Quel que pût être le chiffre du casuel de leur église, il n'y avait pas même là le montant d'une portion congrue et tout ce que le chapitre reçut dans les deux siècles qui suivirent, ne porta la part d'un chanoine qu'à 200 livres au plus.

Suppression du chapitre de Semur : Cette situation devait amener la fin du chapitre. Son premier résultat fut de restreindre le nombre des chanoines et d'empêcher leur résidence à Semur. Dès le XVI° siècle, on ne trouve guère que huit ou dix membres au plus dans les procès-verbaux des assemblées générales et encore beaucoup ne sont chanoines de Semur qu'à titre accessoire. On les voit curés de Poisson, de Montmegin, de la Chapelle-sous-Dun, de l'Hôpital-le-Mercier, de Mailly, et de beaucoup d'autres paroisses des environs. Ils venaient dans l'église de Saint-Hilaire faire leur semaine de service et, avec la dispense du chapitre, ils pouvaient toucher les fruits de leur canonicat, comme s'ils eussent été présents toute l'année. Mais c'était là une situation anormale, et comme au XVIII° siècle, bien loin d'augmenter, les revenus du chapitre subirent une réduction considérable, à la suite de la banqueroute de Law et du mauvais entretien des bois de la collégiale, il devint de plus en plus difficile d'en recruter les membres en nombre suffisant et avec toutes les qualités requises. Après la mort du dernier des doyens, Bouthier, aucune autre famille de Semur ne se soucia de le remplacer dans cette dignité par un de ses enfants et les chefs du chapitre furent dès lors des prêtres étrangers. Les autres chanoines ne semblent pas avoir tous été de premier choix. La régularité s'affaiblit ; l'oisiveté, le manque de tenue, la fréquentation des cabarets, qui jusqu'alors n'avaient existé qu'à l'état d'exception et seulement aux périodes démoralisantes des discordes religieuses, se rencontrèrent un peu plus fréquemment et, devant l'impuissance des doyens à remédier à ces abus, exigèrent l'intervention du chef du diocèse. En 1773, l'évêque d'Autun demanda au dernier doyen, M. Decharmes, un mémoire détaillé sur les revenus du chapitre et la conduite des chanoines. Ce mémoire, transmis au roi, décida le pouvoir civil à autoriser la supression du chapitre. Il ne restait plus qu'à remplir les formalités canoniques exigées pour cette suppression. A la fin de décembre 1775, Mgr de Marbœuf la prononça et régla la nouvelle situation religieuse de Semur. Les biens du chapitre supprimé étaient annexés et unis à la cure de Semur. Son église collégiale devenait une simple église paroissiale avec M. Decharmes, ancien doyen, pour curé. Aux anciens chanoines encore vivants on assignait des pensions alimentaires. Le curé était obligé de tenir deux vicaires pour le service de la paroisse de Semur et de Saint-Martin-de la-Vallée. On lui donnait pour presbytère la maison qu'il occupait comme doyen, avec une somme annuelle de 600 livres et de 400 livres pour ses deux vicaires. Ainsi finit, sans trop de secousses, quelques années avant la Révolution qui l'aurait emporté dans la tempête, le chapitre de Saint Hilaire de Semur. Né aux beaux jours de la société féodale, à la fin de ce XIII° siècle qui avait vu les règnes de Philippe Auguste et de saint Louis, il suivait dans son déclin et dans sa ruine ce monde qui succomba, pour faire place aux idées modernes, sous les coups de la renaissance et du philosophisme. Avec lui disparaissait de Semur ce que le moyen âge y avait établi de meilleur : l'église au pied du donjon, la prière permanente à côté et comme remède de la violence et du pillage.

Le petit séminaire de Semur-en-Brionnais : Des ruines du passé semurois devait pourtant sortir un renouveau de gloire, pour la petite ville brionnaise. Quand la Révolution eut achevé son œuvre détruisant l'ancienne organisation judiciaire et supprimant le bailliage dont Semur était le siège, il ne restait, des anciens établissements, que des souvenirs. Grâce à l'homme de zèle et d'initiative que le Concordat mit à la tête du canton, Semur demeura le centre du Brionnais par un bel établissement d'éducation ecclésiastique, après l'avoir été par la puissance de ses barons et la renommée de ses chanoines. M. Bonnardel, fondateur du petit séminaire de Semur, appartenait à une honorable famille, originaire de La Pacaudière et établie à Marcigny vers le milieu du XVIII° siècle. Son père exerçait dans cette ville les fonctions de notaire et, le destinant à l'état ecclésiastique, lui fit faire ses études au collège de Roanne, puis au grand séminaire d'Autun. Ordonné prêtre en l788, il fut nommé vicaire à Semur à la veille de la Révolution. Obligé de quitter la France au moment des décrets de l'Assemblée législative contre les prêtres réfractaires, il se retira dans le Bas-Valais et y passa en exil près de trente mois, de septembre, 1792 à janvier 1795. I1 n'y oubliait ni sa famille ni sa première paroisse. Dès que la Terreur eut cessé en France, il se hasarda d'y rentrer et pendant cinq à six ans, caché chez sa mère à Marcigny ou dans des maisons sûres des environs, il exerça son ministère publiquement ou en secret, suivant que le gouvernement appliquait avec plus ou moins de rigueur les lois contre les émigrés et le clergé insermenté. Semur resta le centre principal de son zèle. Dès 1796, il en rouvrit l'église, profanée par un instrus et les réunions du décadi, et consacra solennellement la ville au Sacré-Cœeur. Aussi, quand le Concordat vint régulariser la situation de l'église de France, dans la nouvelle organisation des paroisses, M. Bonnardel se trouva naturellement choisi pour être curé de Semur et obtint le titre d'une charge dont il faisait depuis si longtemps les fonctions au péril de sa liberté et de sa vie. Tout était à refaire dans le nouveau diocèse d'Autun. La région brionnaise elle même, bien que moins atteinte que d'autres pays par les scandales de la Révolution, se composait de paroisses jusqu'alors séparées, les unes soumises déjà à l'évêque d'Autun, les autres venues du diocèse de Mâcon. La plupart étaient restées chrétiennes et formaient, avec quelques cantons de la Nièvre, ce qu'il y avait de meilleur dans le vaste territoire confié aux soins de Mgr Moreau. La nécessité la plus pressante était de réparer les vides faits par la persécution et l'apostasie dans les rangs du clergé. Dix ans d'interruption du culte public et de fermeture des séminaires avaient presque tari dans sa source le recrutement des jeunes lévites. A ces populations dont la foi s'était ravivée au feu de l'épreuve, il fallait des prêtres de choix. Notre pays devra une éternelle reconnaissance aux hommes d'intelligence éclairée et de cœur généreux qui, sans compter avec les difficultés de tout genre, se vouèrent résolument à cette grande entreprise. M. Bonnardel fut un de ces bons ouvriers de la première heure. Son œuvre débuta très modestement. A peine rendu à sa paroisse, après les jours mauvais de l'exil et de la persécution, il se mit à rechercher avec soin des enfants qui annonçassent des dispositions pour l'état ecclésiastique. Il en trouva quelques-uns dès les premières années qui suivirent le Concordat, il les attira auprès de lui et commença leur éducation. Jugeant avec raison qu'une bonne école primaire favoriserait le développement des vocations, il ne manqua pas de saisir l'occasion qui se présenta bientôt d'en fonder une et de la confier à un excellent maître. Un décret impérial ayant fermé les collèges des Pères de la Foi, un homme de Dieu, attaché à la maison de Roanne, M. Davrange, se trouva disponible. M. Bonnardel l'accueillit chez lui avec bonheur, comme un envoyé de la Providence, et le mit à la tête des petites écoles. D'abord tous les enfants de la paroisse et bientôt même plusieurs des paroisses environnantes s'empressèrent de venir suivre les leçons du digne autant que modeste instituteur. De sorte que cette simple école primaire de Semur acquit dans tout le voisinage une certaine célébrité et devint nombreuse. Bientôt à côté de cette école, fondée avant tout pour former à la piété les petits enfants, il y en eut au presbytère une autre pour préparer de loin au sacerdoce ceux de ces enfants dont les leçons de M. Davrange avaient fait éclore et nourri les bonnes dispositions. Les vocations, en effet, naissaient nombreuses dans cette petite pépinière. Le zélé curé leur faisait lui-même la classe, écartait de cette chère jeunesse, avec une attentive et sévère vigilance, tout ce qui aurait pu souiller le cœur, faisait observer avec exactitude les règles que lui-même avait tracées et s'attachait à former par tous les moyens, par ses leçons, par des habitudes de piété, de régularité, de discipline, par son habile direction, par sa parole si persuasive et surtout par ses exemples, les futurs élèves du sanctuaire, à la piété, à l'esprit et aux mœurs ecclésiastiques, autant et plus encore qu'à la science. Devant le nombre de jeunes gens que les saintes industries de son zèle amenèrent à Semur, il lui fut impossible de suffire seul à l'œuvre. Alors, pour que son ministère pastoral ne souffrît pas de cet accroissement de travaux, il demanda un collaborateur qui le secondât dans les fonctions de l'enseignement. Le seigneur bénit ces premiers efforts, entrepris en son nom et pour sa gloire. Les élèves affluèrent de toutes parts. Il fallut un second professeur et M. Bonnardel acheta un local attenant au presbytère, l'appropria aussi bien que possible à sa nouvelle destination et y établit les maîtres et les élèves. Tant de zèle fut couronné de succès, et dès 1806, le pieux curé de Semur avait la consolation d'envoyer à Autun quatre jeunes gens, ses élèves, heureuses prémices de cette tribu sacerdotale, sortie de Semur, et qui aujourd'hui dirige un si grand nombre de paroisses. » [Mémoires de M. Dinot, ancien supérieur du petit séminaire de Semur.] Les épreuves ne manquèrent pas à l'œuvre naissante. En 1811, quand la direction du grand séminaire d'Autun fut retirée aux prêtres de Saint-Sulpice, M. Bonnardel, fut choisi par M. Imberties pour remplir les fonctions de supérieur de cette maison. Il fut obligé de quitter sa paroisse et son école, mais il ne s'en sépara qu'à regret et et sa santé ne lui ayant pas permis d'occuper longtemps son nouveau poste, il revint à Semur, « vers ce peuple privilégié, lui disait son évêque, qui avait conservé pour lui toute son estime et toute son affection ». Mais il ne rentra dans sa paroisse que pour voir son œuvre de prédilection exposée à de nouveaux périls. Les lois de l'empire n'autorisaient, par département, qu'une seule école ecclésiastique pour la première formation des aspirants au sacerdoce. Le grand-maître de l'Université fit cesser la tolérance dont on avait jusqu'alors usé à l'égard de l'école presbytériale de M. Bonnardel et il fallut la fermer et renvoyer, les élèves au séminaire d'Autun ou à celui de Nevers. Cette fermeture ne fut que momentanée et quand, la Restauration fit cesser envers le clergé les tracasseries des dernières années de l'Empire, le curé de Semur réinstalla dans sa maison une partie de ses élèves avec un professeur. Mais la situation restait précaire. L'Université voyait de mauvais œil l'existence à Semur d'un établissement qui pouvait faire concurrence à ses collèges, en particulier à celui de Marcigny où l'on enseignait le latin. Toutes les démarches de M. Bonnardel pour obtenir l'autorisation pour son école et sa transformation en petit séminaire restèrent plusieurs années inutiles et sans espoir de succès pour d'avenir. Il fallut l'arrivée dans le diocèse d'un évêque influent à la cour et des circonstances particulièrement favorables pour que les vœux du zélé curé fussent enfin réalisés. Encore les difficultés de la dernière heure ne manquèrent-elles pas. Toute l'année,1821-1822 se passa en démarches de Mgr de Vichy auprès du préfet de Saône-et-Loire et des bureaux du ministère de l'Instruction publique pour l'affaire du petit séminaire. « J'ai beaucoup d'espérance pour le petit séminaire, écrivait-il à M. Bonnardel, il est certain qu'une ou deux conversations font plus d'effet que dix et vingt lettres. Je crois vous avoir mandé dans le temps que le ministre d'alors m'avait dit que quand Nevers qui en avait un, serait distrait d'Autun, la chose serait facile. Vous sentez bien que je n'avais pas perdu de vue l'affaire du petit séminaire. J'en avais parlé à M. de Corbière avant que M. Frayssinous fût nommé, mais il me dit : Patientez un peu et d'ici à quelque temps vous aurez à faire à quelqu'un avec qui vous vous entendrez bien. Je suis assuré des bonnes dispositions de M. Frayssinous pour les petits séminaires et pour tout ce qui touche à la religion. Il est de même très bien disposé pour m'obliger, et je ne doute pas que nous n'ayons notre petit séminaire. Je crois pouvoir le regarder comme certain. M. Frayssinous ne peut pas encore s'occuper de ces objets de détails avant qu'il n'ait bien organisé son conseil ; mais, quoique la chose ne soit pas terminée avant mon départ de Paris, les choses seront en train de manière à ce que nous l'aurons, s'il plaît à Dieu, pour la rentrée. » Cette fois l'espoir ne fut pas vain. L'autorisation si longtemps attendue arriva au mois d'octobre 1822, et sans retard le curé de Semur s'occupa d'en profiter pour l'ouverture du petit séminaire. M. de Précy, le neveu du général qui avait dirigé le siège de Lyon contre les troupes révolutionnaires venait de mourir. Sa maison, construite vers, le milieu du XVIII° siècle, et l'une des plus belles de la ville, était à vendre dans le voisinage des bâtiments de la petite école ecclésiastique. Le curé de Semur en fit l'acquisition et, avec l'approbation du gouvernement, la céda à l'évêque. Mgr de Vichy voulait que l'inauguration du petit séminaire eût lieu dans le courant de novembre de la même année: « Il comprit que pour cela il devait mettre à la tête de la maison, naissante, un homme zélé et actif autant que sage, prudent et persévérant, modeste et patient autant qu'habile et expérimenté dans la tenue d'une maison d'éducation, qui sût se contenter de peu, ne pas se laisser déconcerter par les difficultés inséparables de la fondation d'une maison, attendre les circonstances favorables, sans vouloir devancer le temps, enfin faire beaucoup avec de faibles ressources. » [Mémoires de M. Dinet.] Il le trouva dans un enfant de Senur, M. Millerand, alors directeur au petit séminaire d'Autun. Les quinze années de son supériorat sont, comme toutes les périodes de fondation, l'époque féconde en souvenirs et respectée des générations qui la suivent. Le nouveau supérieur, surpris mais non déconcerté de l'ordre inopiné que lui donnait son évêque, partît sur le champ et, sans ressources, comme les apôtres, mais plein comme eux du zèle qui fait les grandes et saintes choses. Ayant trouvé la maison complètement vide et nullement appropriée à sa nouvelle destination, il descendit chez M. le curé qui lui donna l'hospitalité, s'occupa activement d'y faire les réparations urgentes, les changements nécessaires, la fournit du mobilier indispensable et s'y installa bientôt avec trois professeurs. On avait à peine le nécessaire et cependant la joie la plus franche présida à cette réunion : c'était comme un présage des bénédictions divines et du succès futur. Le lendemain de cette modeste, mais gaie installation, arrivèrent à peu près trente élèves. Les dortoirs furent aménagés à l'étage supérieur de la maison Précy. Au premier, la pièce qui sert maintenant d'infirmerie fut transformée en chapelle et salle des exercices religieux de la communauté. Le salon de M. de Précy devint le réfectoire et la salle d'études fut installée dans la chambre voisine, et, devant les scènes pastorales des tapisseries du XVIII° siècle, les jeunes élèves se mirent au travail. » [Mémoires de M. Dinet.] Dès 1824, le nombre des élèves s'était assez accru pour rendre les premiers locaux trop étroits. On transforma en chapelle le grand bâtiment où étaient les écuries et les remises de M. de Précy. Puis on acheta toutes les vieilles maisons en bordure du chemin qui allait alors de la porte de la Madeleine à la Poterne, en traversant la place du Plâtre. C'est sur leur emplacement que M. Millerand fit construire ce qu'on appela la Grande Salle. Le premier étage de ce bâtiment fut divisé en deux parties par un mur supporté par les colonnes de la salle. Dans une de ces parties on mit la salle d'études et dans l'autre les classes. La cour de récréation avait été jusqu'alors sur l'emplacement du jardin de M. de Précy à côté de la chapelle. En 1829, le diocèse d'Autun, après la mort de Mgr de Vichy, fondateur du séminaire, avait reçu de la Providence un nouvel évêque, Mgr d'Héricourt, dont le zèle ardent et la charité inépuisable devaient donner à cet établissement tout son éclat. Dès 1830, pour fournir aux élèves un champ plus vaste pour leurs ébats, il acheta, au delà de l'ouest des murailles de la ville, un terrain caillouteux et aride qui s'étendait en pente raide vers l'ancienne porte au Van. On l'appelait le pré Coyer, du nom de son possesseur au XVII° siècle. Mais son œuvre maîtresse fut la construction des bâtiments qui de nos jours constituent le séminaire proprement dit. Jusqu'alors la maison Précy en avait formé la partie principale et c'est autour d'elle qu'on avait édifié tous les agrandissements. Mais bornée au matin par la maison Bouthier de Rochefort, au soir par une voie publique, la plus ancienne qui donnât entrée dans l'enceinte de Semur et qu'il semblait impossible de supprimer, elle ne fournissait pas l'espace suffisant pour un établissement d'instruction secondaire digne de ce nom. L'augmentation du nombre des élèves qui, un peu arrêtée par les événements de 1880, avait repris les années suivantes son cours régulier, rendait nécessaire, à bref délai, une solution dont ni M. Bonnardel ni M. Millerand n'avaient encore pris l'initiative. C'était seulement à l'ouest que le séminaire pouvait s'étendre et trouver à bon compte le terrain qu'il lui fallait. La première condition était d'acquérir le chemin qui séparait la maison Précy, et la grande salle des bâtiments de l'école Bonnardel et du pré Coyer, pour que le petit séminaire ne fût pas coupé en deux parties par une voie publique et la régularité de ses exercices sans cesse troublée par les allées et venues des passants. Le conseil municipal de Semur avait jusqu'alors refusé de vendre ce chemin. Il fallut l'intervention de Mgr d'Héricourt pour le décider. L'évêque d'Autun, a-t-on dit, ne connaissait pas l'impossible. En cette occurence, il n'admit pas même de trop longs retardements. Il mit l'administration semuroise en demeure de céder la rue qui mettait obstacle à l'agrandissement de sa maison et déclara qu'en cas de refus, il transporterait le séminaire près de La Clayette, dans le magnifique château de Drée, alors en vente. La municipalité céda et l'évêque n'eut plus qu'à acheter les divers bâtiments qui bordaient les deux côtés du chemin jusque vers l'église. C'est ce qu'il fit les années qui suivirent la mort de M. Bonnardel, décédé à la fin de 1836 ; et remplacé comme curé de Semur par M. Millerand. Une fois en possession de ces terrains qu'occupaient alors la cure, l'école des Frères, les maisons Deshaires et Préveraud de Laubépierre, ou put penser aux constructions nécessitées par les progrès du petit séminaire. Les bienfaiteurs généreux n'avaient pas manqué à l'œuvre naissante, la charité, qui est l'âme et la raison d'être de l'Église, fait servir à ses fins même l'argent, le grand corrupteur du monde. Elle n'abandonna pas Semur au moment où les dépenses allaient être les plus fortes, et le zèle, des premiers fondateurs, alors disparus, passa avec toutes ses industries dans le cœur des bons prêtres qui secondèrent en ces années Mgr d'Héricourt. Un ancien religieux du prieuré de Charlieu, M. Samoël, alors curé de Fleury-la-Montagne, se montra un des insignes bientaiteurs de la maison. M. Polette, directeur du séminaire en 1842, lui légua aussi sa fortune, et M. Beurrier, nommé, économe en 1840, se dépensa sans mesure et sut recueillir par mille canaux l'argent nécessaire pour l'achèvement de l'œuvre de M. Bonnardel. Il fallut presque une dizaine d'années pour ces acquisitions préparatoires. On les employa à préparer les terrains déjà possédés par le séminaire, en nivelant et en plantant d'allées d'arbres les escarpements rocheux du pré Coyer, en établissant le jardin, en construisant les murs de clôture. En 1846, on se mit à l'œuvre. Toutes les vieilles maisons au nord de l'église furent successivement démolies et l'on construisit le grand corps de bâtiment qui domine les pentes de la Madeleine. M. Samoël vint poser solennellement la première pierre à l'angle occidental et l'on y voit une inscription gravée sur une plaque de plomb. En 1848 l'installation des classes et des dortoirs dans les constructions nouvelles était chose accomplie. Tous ces travaux s'étaient faits sous la direction de plusieurs supérieurs. M. Mariller, qui en 1837 succéda à M. Millerand, gouverna la maison jusqu'en 1849 et après sa démission, devint curé de Paray-le-Monial. M. Bachelet, curé de Louhans, le remplaça et ne resta que trois ans à la tête du petit séminaire. Après lui, vint M. Berland et ce fut durant les sept années qu'il demeura supérieur que s'achevèrent les constructions dont nous venons de parler. M. Dinet, qui plus tard devint chanoine théologal de la cathédrale d'Autun et qui a laissé deux volumes sur l'histoire et le culte de saint Symphorien, fut supérieur de Semur de 1850 à 1857. Puis vinrent M. Martin de 1857 à 1863 ; M. Vittaut, mort curé de Notre-Dame de Cluny (1863-1867), et M. Lapalus dont le supériorat eut la durée la plus longue, puisqu'il s'étendit de l'année 1867 à 1894, celle de sa mort. A partir de 1850 les grands travaux de construction étaient à peu près arrivés à leur terme ; seule la chapelle restait à bâtir. En mourant, Mgr d'Héricourt avait laissé au séminaire une somme dans ce but, continuant après sa mort ses bienfaits envers sa chère maison de Semur. Elle fut achevée vers 1860, sur les plans de M. Ridot, architecte diocésain. Elle remplaça dignement l'ancien bâtiment aménagé pour le service du culte, assez vaste pour contenir tous les élèves, mais sans aucun caractère architectural. La nouvelle chapelle, au contraire, sobrement et élégamment construite dans le pur style ogival, adossée aux pentes de la Madeleine et du Pré Coyer qui en dégagent mieux les heureuses proportions et semblent relever la hauteur svelte de la nef et de l'abside, s'adapte extrêmement bien au grand corps de bâtiment qui forme la façade principale du séminaire. C'est ce qu'on aperçoit tout d'abord en venant de Marcigny, et si ces édifices nouveaux enlèvent un peu la vue de l'église de Saint-Hilaire et de la tour Saint-Hugues, ils n'ont en rien changé le caractère de la ville. A l'aspect des massifs touffus de verdure que forment dans les champs de récréation les belles allées de marronniers et de tilleuls, et qui semblent prolonger le séminaire jusqu'à l'extrémité de la colline, en donnant le plus beau des cadres à la chapelle et à la longue rangée des classes et des salles d'études, on se sent toujours, comme au temps des chanoines, dans la demeure tranquille et pure de la prière, et la jeunesse choisie qui, depuis près d'un siècle, se prépare à Semur par le travail, la piété et les salubres exercices du corps aux combats variés de l'existence, ne pouvait trouver un meilleur asile qu'à l'ombre de la vieille église et du donjon féodal, pour lui maintenir au cœur, en notre temps de scepticisme moral, les belles vertus des XII° et XIII° siècles, le patriotisme de la chanson de Roland et la naïve vertu du bon sire de Joinville.

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