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Les événements de l'année 1783 en Bourgogne et en Europe, l'explosion du Laki (ou Lakagigar), volcan islandais

Explosion du volcan Laki en 1783 Lakagigar

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Voici les remarques faites par Mr Delacroix, curé d'Azolette dans le Haut-Beaujolais à propos de l'année 1783 :

" L'année 1783 fut remarquable par plusieurs grands événemens, la paix fut conclue entre la France, l'Angleterre et les États-unis d'Amérique. La Sicile et la Calabre furent bouleversés par de fréquens et violens tremblements de terre. La ville de Messine fut presqu'entièrement abîmée ; on fait monter à environ cent mille âmes, le nombre de ceux qui périrent dans les différentes secousses qui bouleversèrent une grande partie de l'Italie méridionale, nous eumes ici en février de cette même année des vents très violens, qui se soutinrent depuis le commencement jusqu'à la fin de ce mois. C'est précisément à cette époque que le fond de l'Italie essuya les plus violentes commotions. Ces désastres ne pouvoient manquer de faire grand bruit dans toute l'Europe. Dans ce païs-ci, le peuple se persuada que nous allions être tous engloutis ; pleins de cette idée, quelques-uns se confessèrent comme devant bientôt mourir. J'en ai trouvé qui m'ont demandé très sérieusement si je ne savois pas qu'il devoit y avoir un tremblement de terre général qui devoit nous abîmer. Il est aisé de sentir que cette opinion du peuple avoit son origine dans les calamités qui désoloient l'Italie. Quoiqu'il en soit, il y eut effectivement dans ces montagnes une très légère secousse de tremblement de terre le dimanche 6 juillet, vers les dix heures du matin, elle fut si peu sensible que je ne m'en apperçus pas. Cependant plusieurs personnes, les bergers surtout qui étoient dans les champs, ceux qui gardoient pendant le service divin à Proprière, à Saint-Germain et ailleurs, dirent avois senti une secousse, et avoir entendu un bruit semblable à peu près à celui que feroit un char roulant. Je suspendis mon jugement à cet égard, je pris une connoissance exacte du jour et de l'heure et je fus convaincu de la vérité du fait, après avoir reçu plusieurs lettres de Bourgogne, qui toutes convenoient sur l'heure, le jour et le moment précis où la secousse s'étoit fait sentir ici ; la commotion fut bien plus sensible à Beaune, à Chalon, à Senecy, etc., que dans nos régions, et la frayeur aussi par conséquent. Cette commotion fust préceddée d'un phénomène singulier, lequel ne l'annonçoit pourtant pas. Dès le quinze juin l'air se couvrit d'une espèce de brouillard très peu dense qui n'empêchoit pas que le soleil ne dardât tous ses feux, mais il étoit d'une rougeur sanguinolente, cela dura ici environ quinze jours et près de trois semaines en Bourgogne ; personne ne se souvenoit d'avoir vu de semblable, en été surtout. Quelques physiciens prétendirent que ces vapeurs qui occasionnoient cette rougeur extraordinaire du soleil, étoient une suite des tremblements de terre de Messine et de la Calabre ; mais ce qui paroit détruire cette opinion, c'est que ces vapeurs et cette couleur écarlatte dans le soleil furent aussi sensibles à Stokolm et dans tout le nord de l'Europe qu'ici. La récolte de toutes les espèces de grain fut très médiocre, le froment valut cinq livres, mesure de Chauffaille, et le seigle, trois livres douze sols. On recueillit pourtant tout sans accident. "

Le curé de Verjux, au nord-est de Chalon-sur-Saône, observe également ces phénomènes et écrit dans le registre paroissial :

" Le six juillet mil sept cent quatre vingt trois, nous avons éprouvé à Verjux un tremblement de terre, très sensible, sur environ les neuf heures trois quarts du matin, accompagné d'un bruit souterrain effrayant comparé à un coup de tonnerre continu pendant plus de deux minutes. L'église où tous les paroissiens et beaucoup d'étrangers assistaient à la messe de paroisse, celle du quatrième dimanche après la pentecôte, a été fort agitée, de manière que le peuple consterné a pris la fuite, il n'y a cependant eu aucunes ruines dans la paroisse. Le même événement a été éprouvé a la même heure dans toutes les paroisses voisines. Ce tremblement a été précédé par des brouillards extraordinaires en plein été, qui ont tenu durant plus de trois semaines, à voiler chaque jour le soleil le plus ardent dans tout le cours de ces trois semaines ; à persévérer chaque nuit, où la lune et toutes étoiles étaient pleinement voilées ; ils commencèrent à se dissiper le jour du tremblement, où le soleil paru dans tout son éclat dès le grand matin, et dès le lendemain il paraissait en être plus mention, quoiqu'ils aient continué quelque temps, mais moindres. Ce qui a été suivi de fièvres qui se sont déclarées dés le mois d'août, sans être mortelles, pour le plus grand nombre mais qui abattaient toutes les forces et pour longtemps. Léger curé. "

Le curé de Chagny (71) observe également les évènements de ce 6 juillet 1783 et note dans les registres paroissiaux :

" Le six du mois de juillet mil sept cent quatre vingt trois, sur les neuf heures cinquante minutes du matin l'on a éprouvé deux secousses du tremblement de terre suivies d'un bruit fort considérable, la terre étoit couverte d'une espèce de brouillard appelé par le vulgaire Chatebrun(?), ces brouillards régnoient depuis près de vingt cinq jours, ils ne mouilloient point et à peine aperçoit-on le soleil surtout à son coucher, il étoit rouge et comme un corps opâque. "

Le curé de Chiroubles (69), dans le Beaujolais, consigne également dans les registres paroissiaux :

" Ces brouillards étaient secs et tellement secs qu'ils ne ternissaient point une glace et ne liquéfiaient point le sel, mais si épais qu'en plusieurs endroits à peine voyait-on pour se conduire "

Le phénomène singulier, le brouillard sec, que décrivent les curés d'Azolette, Chagny, Chiroubles et Verjux, est du à l'éruption du Laki, qui eut lieu le 8 juin 1783 en Islande. À l'époque, ce brouillard était communément attribué aux tremblements de terre en Calabre. C'était par exemple l'hypothèse émise par le physicien américain Benjamin Franklin. Le naturaliste français, M. Mourgue de Montredon, est considéré comme le premier, à l'extérieur de l'Islande, à avoir fait le lien entre le brouillard sec observé en Europe et l'activité volcanique du Laki, théorie qu'il exposa lors d'une communication à la Société royale des sciences de Montpellier le 7 août 1783.

La figure suivante présente les dates de juin 1783 et les sites des rapports relatant la première apparition en Europe du brouillard sec chargé de soufre. Les points montrent la localisation des observations ; les nombres représentent la date d'observation ; les points sans aucun chiffre indiquent des sites d'observation où la date d'observation n'est pas spécifiée.

Explosion du Laki en 1783

D'après cette figure, le brouillard sec a été observé en Bourgogne du Sud le 17 juin. Le curé d'Azolette observe ce brouillard exactement à la même date.

L'éruption du Laki a engendré une pollution atmosphérique d'échelle continentale. On estime que 100 Téra-grammes (100 mille milliards de grammes) d'oxyde de soufre ont été émis dans l'atmosphère, alors que l'explosion du Pinatubo en 1991 n'a produit "que" 20 Tg et que jusqu'en 2001, l'industrie mondiale n'avait produit que 75 Tg. Une partie de cet oxyde de soufre se transforma en acide sulfurique, créant le brouillard sec, non saturé d'humidité, observé notamment en Bourgogne.

Cett éruption a eu un impact grave sur l'environnement et a provoqué des maladies, de manière tout a fait similaire aux conséquences attendues en cas d'accident avec des polluants modernes.

On estime que 20 % de la population de l'Islande fut décimée. En Europe, il y eu plus de 50.000 morts. Par contre l'analyse des registres d'état civil de Chauffailles, Mussy-sous-Dun, Saint-Maurice-lès-Châteauneuf, Saint-Germain-la-Montagne, communes situées en Bourgogne du Sud, n'a pas permis de révéler une surmortalité au 2ème semestre 1783.

Le climat fut cependant perturbé durablement puisque le curé d'Azolette décrit ainsi l'année 1785 : " L'hiver de 1785 sera longtemps mémorable par la grande abondance de ses neiges. La campagne fut couverte durant six mois, à peu près ; c'est-à-dire depuis le mois de décembre 1784 jusques vers la fin d'avril 1785. Comm'il en étoit beaucoup tombé durant l'hiver de 1784, on n'eut jamais imaginé que le suivant en donneroit encore une plus grande quantité. On fut trompé. Il en tomba à deux ou trois reprises jusqu'à 13 ou 14 pouces ; ce qu'il y a de singulier, c'est que le païs plat, à notre couchant et à notre levant, en eut une plus grande quantité que nous. Il s'en fit partout en rase campagne, comme dans nos montagnes, des amas très considérables, ces amas furent surtout occasionnés par une bize violente qui s'éleva le dimanche de la Passion, 13 mars, à la suite d'une grande chûte de neiges, les chemins se trouvèrent obstrués partout dans la plaine comme dans les montagnes, c'est un fait dont je pourrois prendre à témoin toutes les provinces qui nous environnent. Ces neiges du mois de mars ne furent pas les dernières, les chûtes du mois d'avril ne furent guère moins abondantes. On m'en croira si l'on veut, mais je certifie que le 14 avril, étant à Chalon-sur-Saône, j'ai vu de mes deux yeux, sur la place du Châtelet, un tas de neiges de la hauteur au moins de 14 pouces. Il y auroit à parier que pareille chose ne s'étoit vue depuis plus d'un et peut-être de deux siècles. "

Remerciements à Michel Lecouteur pour nous avoir signalé le lien entre le brouillard sec décrit par le curé d'Azolette et l'éruption du Laki, à Jocelyne Brivet, à Jean Mortamet et aux membres du groupe Histoire & Généalogie du Sud-Brionnais.

Références :

o Inventaire sommaire des Archives départementales du Rhône antérieures à 1790, Série E Supplément, Archives anciennes des communes, Tome 2 (1906) ; commune d'Azolette, E suppl. 81 (GG2), F° 219, 226, 233, 242 et 251.

o Registre paroissial de Chagny, Baptêmes et Mariages 1781-1785, AD71, p. 82/190.

o Registre paroissial de Verjux, 1770-1791, AD71, pp. 148-149/250.

o John Grattan, Roland Rabartin, Stephen Self, Thorvaldur Thordarson, Pollution atmosphérique volcanique et mortalité en France de 1783-1784, Volcanic air pollution and mortality in France 1783-1784, Comptes Rendus Geoscience, 337, pp. 641-651 (2005).

o M. Mourgue de Montredon, Recherches sur l'origine & sur la nature des Vapeurs qui ont régné dans l'Atmosphère pendant l'été de 1783, Histoire de l'Académie Royale des Sciences (1784), BnF/Gallica.

o Benjamin Franklin, May 1784, Meteorological Imaginations and Conjectures (http://franklinpapers.org/) : " During several of the Summer Months of the Year 1783, when the Effect of the Suns Rays to heat the Earth in these northern Regions should have been greatest, there existed a constant Fog over all Europe. This Fog was of a permanent Nature; it was dry, and the Rays of the Sun seem'd to have little Effect towards dissipating it, as they easily do a moist Fog arising from Water. They were indeed rendred so faint in passing thro' it, that when collected in the Focus of a Burning Glass they would scarce kindle brown Paper; Of course their Summer Effect in heating the Earth was exceedingly diminished. "

o M. l'abbé Pierre Bertholon de Saint-Lazare, Du brouillard extraordinaire de 1783, De l'électricité des météores, tome 2, pp. 128-147 (1787), BnF/Gallica.

Compléments :

o Les événements de l'année 1783 en Beaujolais, Bourgogne et Europe : l'explosion du Laki, volcan islandais (article de Patrick Martin paru dans la revue Généalogie & Histoire du Centre d'Études Généalogiques Rhône-Alpes (CEGRA), n° 162/163, pp. 50-54, 2015). pdf

o Notes du curé de Cogny (Rhône) : " Il a régné cette année, pendant les trois premières semaines du mois de juillet, des brouillards fort épais, et dont les plus vieillards n'avoient jamais vu de pareils dans l'été. À travers ces brouillards, on fixoit aisément le soleil qui dans son lever et dans son coucher, pendant ces trois semaines, a toujours paru couleur de sang très foncé. "

o Notes du curé de Coise (Rhône) : " À mi juin il commenceat à reigner des brouillards secs qui couvroient le païs, et le soleil à son levé et à son couché paroissoit fort rouge. Dans le jour, il ne paroissoit qu'à travers les brouillards et encor rarement. Et cela a duré jusqu'au 5 juillet et par reprise. "

o Notes du curé de Les Haies (Rhône) : " Les brouillards ont été de longue durée, très épais et en général dans toute l'Europe, il n'y a que le plus ou le moins ; il y a des endroits où ils ont occasionné beaucoup de maladies ; dans ce païs Dieu nous a préservés de maladies. "

o Notes du curé de Saint-Martin-en-Haut (Rhône) : " Pendant les mois de may, juin et la moitié de juillet, les brouillards ont demeuré répandus dans le Lyonnois, Forest et plusieurs autres cantons. À peine voyoit-on le soleil à traver lesdits brouillards. Tout le monde en étoit étonné et craignoit de tristes suites. Mais leur crainte a été vaine, et celui qui dirige tout a conduit toute chose à l'ordinaire. "

o Conséquences de l'éruption du Laki en Seine-Maritime de 1783 à 1786, présentation de Michel Lecouteur. pdf

o Notes du curé d'Allainville-aux-Bois (Yvelines) sur l'apparition du brouillard vers le 15 juin (article de Philippe Beauvillier paru dans le magazine web Histoire-Généalogie).

o Notes du curé de Brûlon (Sarthe) : " Pendant les mois de juin et de juillet 1783 dans presque toute l'Europe l'atmosphère était remplie d'une espèce de brouillard, ou plutôt de vapeurs qui dérobaient le soleil, et quand on l'apercevait on le regardait aussi fixement que la lune, sans être aucunement ébloui. Tout le peuple en était épouvanté et disait que nous allions avoir le jugement. Les phisiciens ont attribué ces vapeurs aux explosions de la Cicile.
Dans le mois d'août et le reste de l'automne les trois quarts du monde ont été malades. On en trouvait jusqu'à quatre, cinq et même six malades par chaque maison ; et cela universellement. Heureusement il ne mourrait personne. On attribuait la cause de ces maladies ou à la mauvaise qualité des grains de la dernière récolte, ou au défaut de froid de l'hyver précédent qui à la vérité ne fut que pluvieux, ou aux vapeurs exhalées de la Cicile, ou enfin aux chaleurs qui pendant plusieurs jours ont été excessives. Peut-être que le tout y a contribué. "
Archives départementales de la Sarthe, BMS 1760-1792 (suite), p. 197/472.

o Notes du curé d'Asnois (Vienne) : " Le 16 juin 1783 il a paru une fumée en manière de brouillard qui empechoit les rayons du soleil de parvenir jusqu'à nous le matin jusqu'à six et sept heures et le soir une heure avant soleil couché et le soleil paroissoit pour lors extrêmement rouge ce qui a duré jusqu'au 7 juillet, évènement si extraordinaire que les anciens qui existent actuellement ne se rappellent point dans la mémoire avoir vû jamais chose pareille, la susdite fumée paroissoit un peu tout le jour et la nuit pendant 3 semaines environ. " Archives départementales de la Vienne, Asnois, BMS 1783-1792, p.  10/127. (Acte mentionné par Thierry Suant, Revue Hérage du Cercle Généalogique Poitevin, n° 136, pp. 21-22, 2017).

o La Gazette de France du mardi 8 juillet 1783 : " De Paris, le 8 Juillet 1783. Pendant plusieurs jours il a régné ici un brouillard épais & sec, dont le Ciel a presque toujours été couvert. Le sieur de La Lande, de l'Académie des Sciences, observe que c'est l'effet naturel d'une chaleur vive après de longues pluies, & que ce phénomène n'est pas nouveau. On lit en effet, dans les Observations météorologiques de l'Académie sur le mois de Juillet 1764 que le commencement en avoit été humide & la fin sèche ; que le vent avoit été constamment Nord du 2 au 9 ; que tous les matins il y avoit du brouillard, & que pendant la journée le Ciel étoit comme enfumé. C'est ce qu'on a remarqué à la fin de Juin dernier. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du mardi 22 juillet 1783 : " De Paris, le 21 Juillet 1783. On a éprouvé dans presque toute la Franche-Comté, depuis Besançon jusqu'à Dijon, une légère secousse de tremblement de terre ; elle s'est fait sentir dans la première de ces villes le 6 à dix heures trois ou quatre minutes du matin, & a duré au plus deux secondes. Elle a été peu sensible en rase campagne & davantage dans les maisons, où elle a dérangé quelques meubles, fait tomber des platras, des tuiles, &c. Son mouvement a paru peu oscillatoire, mais vertical & semblable à la compression de l'air réagissant d'un plancher sur l'autre, & contre les portes & les fenêtres. Le bruit dont elle étoit accompagnée, n'étoit ni souterrain ni aérien, mais ambiant, comme celui qu'auroit fait une charge de blé jetée brusquement sur l'aire d'un grenier. Ces détails s'accordent avec l'opinion du sieur de La Lande, qui regarde ce tremblement de terre comme un tonnerre souterrain, une explosion électrique suscitée par le brouillard sec & électrique dont toute la France a été couverte, & qui a produit en divers endroits des orages extraordinaires. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du mardi 22 juillet 1783 : " De Copenhague, le 29 Juin 1783. On parle beaucoup ici d'un phénomène remarquable, dont la Méditerranée a offert anciennement plus d'un exemple qu'on a vu se renouveler en 1707 auprès de Thérasie [Santorin], & dans l'Océan, entre les Açores, en 1720, mais qui paroît très nouveau dans nos mers ; c'est la formation subite d'une nouvelle isle à 7 milles de celle d'Islande. Un Patron Danois qui faisoit route dans ces parages, en a fait le tour, & lui donne un mille & demi de circonférence ; il l'a prise d'abord pour une portion de l'Islande détachée par quelque convulsion de la Nature ; il a appris ensuite qu'elle étoit nouvellement sortie de la mer ; il paroît d'après ces récits, que l'époque de cet événement est celle du tremblement de terre de la Calabre. En attendant des rapports plus circonstanciés, la Chambre des finances a été chargée de faire prendre possession de cette nouvelle isle au nom du Roi. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du vendredi 25 juillet 1783 : " De Naples, le 23 Juin 1783. On remarque sur nos côtes un phénomène singulier, qui ajoute aux alarmes qu'ont renouvelées les secousses qui se font fait sentir le 8, le 11 & le 12 de ce mois dans les deux Calabres. La mer est depuis ce temps dans une agitation continuelle ; & le 20 de ce mois, l'atmosphère étant chargée de brouillards, on a observé que la mer s'était retirée de six palmes plus qu'à l'ordinaire. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du mardi 29 juillet 1783 : " D'Embden [Emden, Allemagne], le 12 Juillet 1783. Le brouillard épais & sec qui règne depuis longtemps, paroît s'être répandu sur toute la surface de l'Europe : plusieurs Marins l'ont aussi observé en mer ; pendant le jour il voile le soleil, vers le soir il prend une odeur infecte ; dans quelques endroits, il dessèche les feuilles, & jusque tous les arbres des bords de l'Ems ont été dépouillés des leurs en une nuit. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du mardi 5 août 1783 : " D'Hildburghausen [Allemagne], le 4 Juillet 1783. Le mont Gleichberg, situé dans notre voisinage, offre en ce moment un phénomène également singulier & terrible. Les vapeurs dont il est toujours environné ont augmenté depuis Pâques [20 avril], & forment un brouillard épais qui s'étend sur un espace de huit lieues ; ce brouillard qui a ôté leur verdure à nos bois & lui a substitué une teinte blanchâtre, est sans doute, à en juger par l'odeur, composé d'exhalaisons sulfureuses. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du vendredi 8 août 1783 : " De Copenhague, le 15 Juillet 1783. Depuis quelque temps il règne ici une chaleur excessive, & le Ciel est toujours couvert d'un brouillard épais qui, sans intercepter tout à fait le Soleil, nous en dérobe l'éclat. Loin d'humecter les campagnes, ce brouillard dessèche l'herbe dans les prairies, & les feuilles dont la plupart de nos arbres sont maintenant dépouillés. Il est très extraordinaire que ce temps brumeux se soutienne avec tant de constance, malgré les variations continuelles du vent. On apprend par de nouveaux rapports d'Islande, que près de l'isle sortie dernièrement de la mer, il s'élève du fond de l'Océan une nouvelle terre d'où s'exhale une fumée épaisse. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du mardi 9 septembre 1783 : " De Constantinople [Istanbul], le 21 Juillet 1783. Le brouillard épais qu'on a observé cet été dans presque toute l'Europe, remplit notre atmosphère depuis le 1er de ce mois ; il est accompagné d'un vent constant d'Ouest ; on l'éprouve également à Smyrne [Izmir]. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du mardi 23 septembre 1783 : " De Fiume [Italie puis Croatie], le 18 Août 1783. Le brouillard épais dont notre atmosphère étoit remplie, & qui n'a pas moins incommodé ce pays que les autres contrées de l'Europe, a enfin disparu ; mais depuis ce temps nous éprouvons fréquemment des orages violens. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du mardi 30 septembre 1783 : " De Copenhague, le 5 Septembre 1783. Plusieurs Bâtimens arrivés d'Islande, nous ont appris que dans le district de Scapte-Field, qui est peu éloigné de l'Hécla [Hekla], il s'est ouvert plusieurs nouveaux volcans (1) ; la lave qu'ils jettent, a couvert dans les environs de la rivière de Scaptaa [Skaptaa], une étendue de terrein de 15 milles de longueur sur 7 de largeur ; elle a entraîné trois Églises & quelques autres bâtimens. L'atmosphère de cette Isle est chargée d'un brouillard sec & imprégné d'une poussière sulfureuse très fine. L'isle nouvellement sortie de la mer près de Reikenos (2), s'agrandit tous les jours, & il en sort sans discontinuer une fumée épaisse. " (BnF/Gallica)
(1) Les cartes de géographie du XVIIIe siècle ne mentionnent pas le Laki (ou Lakagígar).
(2) ou Reykjanes, péninsule au sud-ouest de l'Islande dont l'extrémité était appelée "Rochers, rocs ou écueils aux oiseaux".

o La Gazette de France du mardi 4 novembre 1783 : " De Copenhague le 8 Octobre 1783. Le Chevalier de Levezau se dispose à se rendre en Islande pour y examiner, par ordre du Roi, la nature & l'étendue des ravages causés par les éruptions volcaniques auprès de Skaptaa. Il doit aussi visiter la nouvelle île de Ny-Oee sortie du sein de la mer auprès de Reikenos. " (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du vendredi 30 janvier 1784 : " De Copenhague, le 1er Janvier 1784. Les rapports qui viennent de l'Islande ne sauroient être plus affligeans ; on a parlé des matières sulfureuses lancées par les volcans & répandues sur les campagnes ; elles ont desséché & brûlé toutes les prairies, de manière que le bétail est privé de ces pâturages ; des troupeaux nombreux ont péri faute de nourriture, & leurs propriétaires infortunés sont plongés dans la misère. Sa Majesté, touchée de leurs pertes, a permis de faire dans tous ces États une quête, dont le produit sera destiné à leur soulagement." (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du vendredi 13 août 1784 : " De Copenhague, le 18 Juillet 1784. Les rapports de plusieurs Bâtimens arrivés d'Islande, présentent les habitans de cette isle dans l'état le plus fâcheux ; les désastres qu'elle a éprouvés ont tellement nui aux campagnes, que toutes les récoltes & surtout celle des fourrages, ont manqué ; la famine s'est également fait sentir en conséquence aux hommes & aux animaux, & il en a péri un grand nombre. Le feu qui s'est allumé en plusieurs endroits dans la terre près de sa superficie, continue de brûler ; & la nouvelle isle sortie du sein de la mer dans le voisinage, a totalement disparu." (BnF/Gallica)

o La Gazette de France du vendredi 15 juillet 1785 : " De Copenhague, le 18 Juin 1785. Selon une lettre d'Holmen en Islande, en date du 28 Mars, cette isle continuoit à présenter le spectacle de la misère & de la désolation. La famine, malgré les soins de l'Administration pour la prévenir, s'y est fait vivement sentir, & a fait périr un grand nombre d'habitans. À la date de cette lettre il régnoit des maladies épidémiques & surtout une dissenterie, qui moissonnoient la plupart de ceux que la famine avoit épargnés. Le nombre des malades étoit si considérable, & ceux qui n'étoient pas encore attaqués de la maladie étoient si foibles & si énervés, que les morts restoient quelquefois 3 à 4 semaines sans pouvoir être enterrés. La disette des subsistances multiplioit les mendians & les voleurs. Au milieu de ces désastres, on avoit l'espérance d'une bonne récolte, mais il falloit encore l'attendre ; l'année avoit bien commencé ; on n'avoit presque pas eu d'hiver & la pêche se faisoit avec succès." (BnF/Gallica)

o Les Beautés de la nature (1835) : " En août 1783, le vaste foyer de feux souterrains sur lequel semble reposer presqu'en général toute l'Islande, produisit aussi un embrasement au sein des eaux. Cette espèce de prodige jeta l'épouvante dans tous les cœurs. Au sud de Grinbourg, à environ trois lieues du roc des Oiseaux, on vit la mer bouillonner avec force, on entendit la terre mugir dans ses entrailles, on la sentit s'ébranler ; bientôt les eaux parurent lancer des flammes ; de leur sein s'éleva une terre nouvelle, ou plutôt un amas de laves et de matières volcaniques, qui, entr'ouvert dans sa partie la plus élevée, servit de cheminée à un foyer souterrain qui cherchait à s'échapper. Cette île s'agrandit peu à peu depuis cette époque, et continua à lancer des flammes. " (BnF/Gallica)

o De l'influence des émanations volcaniques sur les êtres organisés, particulièrement étudiée à Santorin pendant l'éruption de 1866, par L. Da Corogna (1867) : " Quant à la grande éruption de Scaptar-Jokull, survenue en 1783, elle a également produit des dégâts considérables dans les champs cultivés des environs du volcan. Les chroniques rapportent que ce fut la renoncule qui sécha la première ; vint ensuite la dent-de-lion. Celles qui résistèrent le plus longtemps furent quelques plantes fluviatiles. Les jardins ne furent pas épargnés ; toutes les plantes potagères furent détruites par la cendre, les grands champs d'avoine, cette plante si utile aux habitants de l'Islande, furent anéantis ; il en résulta une grande détresse, car la provision d'hiver manqua aux malheureux habitants, qui se servent de cette plante pour faire du fladbröd, espèce de pain très répandu dans les pays du Nord. Le lichen d'Islande, qui sert également de nourriture aux habitants, fut aussi complètement altéré par les cendres. Les dommages causés par l'éruption de Scaptar-Jokull ne restèrent pas limités à la végétation de l'Islande. La fumée et les cendres, qui s'élevaient du foyer d'éruption en tourbillons épais, et qui, comme nous l'avons dit, chassées par les vents sur l'Europe, en avaient obscurci l'atmosphère, portèrent jusque sur le continent leur pernicieuse influence. Dans un mémoire fort intéressant intitulé "Recherches sur l'origine et sur la nature des vapeurs qui ont régné dans l'atmosphère pendant l'été de 1783", l'auteur, M. Mourgue de Montredon, dit que ce phénomène apparut le 17 juin 1783, et dura sans interruption jusqu'au 22 juillet. (L'éruption de Scaptar-Jokull commença le 8 juin, et continua jusqu'à la fin de juillet.) Diverses expériences ont prouvé que ces vapeurs n'étaient pas aqueuses. La plupart des savants de cette époque ont pensé que ces vapeurs extraordinaires provenaient de l'éruption qui avait alors lieu en Islande. Les premières terres de notre continent, les plus près de l'Islande, dit M. Mourgue, telles que la Norvège, le Danemark, les parties de l'Allemagne qui bordent le côté nord-ouest de l'Europe, furent les premières à s'apercevoir de ces vapeurs, et à en ressentir les mauvais effets. Des lettres de Copenhague annoncèrent que cette vapeur épaisse desséchait l'herbe dans les prairies, qu'elle en altérait la couleur, et que les feuilles de la plupart des arbres étaient tombées. Les bords de l'Elbe éprouvèrent le même effet ; il fut encore plus sensible à Embden et dans les contrées voisines. Cette vapeur portait, disait-on, une forte odeur de soufre très désagréable. " (BnF/Gallica)

Carte ancienne de l'Islande

Carte de l'Islande en 1768 pour servir à la Pesche de la Balaine. De gauche à droite : Rochers aux Oiseaux, volcan Hekla, jokul ou glacier de Skaptaa (emplacement du Laki) - BnF/Gallica
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