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Étude du fief de La Matrouille,
par Jocelyne Brivet-Desroches (*)

blaon de la famille de Guillermain Jeanne de Guillermin de la Matrouille

Ce domaine se compose d'une ferme fortifiée (on trouve sur certains écrits : d'après le cadastre de 1829, plan d'un manoir de type féodal) et de terrains se trouvant à ses débuts sur la commune de St Maurice lès Châteauneuf, mais depuis que St Edmond est devenue commune en 1932, le domaine se trouve sur St Edmond.

D'où vient ce toponyme : la Matrouille. D'après Mr Mario Rossi, professeur à l'université d'Aix en Provence, les patronymes sont toujours issus de noms de lieux-dits. Or matrouille, martorelle etc. veut dire cimetière, martyre, c'est pourquoi le patronyme de Martorelle remonterait à bien avant 1230 et viendrait d'un lieu comme ça, les seigneurs ayant pris le nom de cette terre.

L'église de Châteauneuf appartenait à l'église collégiale de St Paul de Lyon dès le XIIe siècle. Bientôt le Chapitre de St Paul acquiert d'autres droits. En 1253 Arnaud de la Martorelle fait une donation au Chapitre (corps des chanoines d'une église) de St Paul de Lyon « cède servis et droits sur terres prés et bois situés à la Martorelle sur la paroisse de St Maurice, à lui appartenant ... » Il se réserve toutefois les bois nécessaires pour refaire ses maisons, si elles sont détruites par le temps ou l'incendie. Avec son épouse Guigonne il s'engage à cette vente et cession par devant Guichard, official de Lyon.

La Martorelle est bien la Matrouille, toponyme un peu transformé au cours des temps.

Et on lit chez l'abbé Pagani : « parmi ces anciennes familles féodales de cette partie du Mâconnais qui nous intéresse nous citerons les Le Blanc, les de La Martorelle, les de Semur ... »

Plus tard, Dame Jehanne des Serpenz (plusieurs orthographes ou aussi d'Isserpents) a donné « denombrement de sa segnoirie de la Mayteroille de 50 livres de revenu annuel en 1560 ». Venait-elle de l'Allier où la commune d'Isserpent possède un château et où on trouve un blason semblable à celui des Des Serpenz ? Toujours est-il qu'on retrouve bien cette seigneurie à St Maurice lès Châteauneuf.

Le premier acte (1) nous apportant des renseignements utiles sur ce manoir date du 23 janvier 1760 : c'est un acte de mariage entre Messire Jean-Baptiste Chevalier, seigneur des Raviers de Bois Sainte-Marie et Demoiselle Anne Catherine De Royers, fille d'Alphonse De Royers et de Dame Odin de la Malignère, père et mère de l'épouse demeurant à la Matrouille. Ce patronyme étant écrit de différentes façons, mais plus souvent De Royers, on adoptera cette orthographe.

En effet, ce manoir est devenu un fief des De Royers mais il nous faut voir comment.

En réalité, le premier possesseur de ce fief était Marc de Tenay, seigneur de St Christophe et de la Matrouille. L'origine du marché de St Christophe n'est pas vraiment connue, mais les de Tenay ont eu une grande influence, d'abord, on trouve : « à Charles VII en 1488, une supplication de messire Jean de Tenay, seigneur du lieu, institue par lettres patentes trois foires... » puis en 1627 messire Laurent de Tenay pense « qu'il serait à propos de le changer du vendredi au mercredy » puis encore d'autres changements auront lieu et une ordonnance de Louis XVIII du 19 janvier 1820 stipule : « les 12 foires qui se tiennent actuellement à St Christophe auront lieu à l'avenir le troisième jeudi de chaque mois »

On peut dire que les foires, jusqu'en 1866, se tiennent dans la rue principale : l'Allée de Tenay.

Mais les de Tenay avaient, outre St Christophe, d'autres seigneuries et celle qui nous intéresse : la Matrouille.

La seigneurie passa à Laurent de Tenay, puis à son fils, Claude Hippolite, qui établit un testament mutuel entre sa femme, dame Claudine Delafay, et lui, qui fut déclaré le 29 mars 1679. Ce testament ne nous apprend rien sinon qu'ils ont distribué leur argent à leurs enfants, mais on n'y parle pas de leurs fiefs. Et Claude Hippolite décédera bien plus tard car on trouve sa sépulture déclarée le 20 mai 1690 et, sur les registres, l'acte de sa mort.

Le fief de La Matrouille est alors vendu à Alexandre de Guillermain le 25 septembre 1692 par le fils de Claude Hippolite, Marc Hilaire de Tenay.

Il est fort probable qu'Alexandre de Guillermain soit un descendant de Jean-François de Guillermain, seigneur de Nuzière, le fief de Montpinay ayant appartenu à Jean Vaginay puis à Jean-François.

Alexandre de Guillermain acquiert donc La Matrouille, il épouse Catherine Dibal : ils n'ont qu'une fille, Jeanne, qui fit une reprise du fief le 5 juillet 1697. Les parents de Jeanne décèdent, son père le 10 novembre 1696, sa mère le 13 avril 1697.

Elle est orpheline et épouse Pierre De Royers de la Valfinière, le premier octobre 1699 à St Nizier d'Azergues « procédante de l'autorité d'Antoine, Hilaire de la Porte, de l'avis de Jean Vaginay, seigneur de Montpinay, conseiller et procureur du roi en la sénéchaussée de Lyon, son oncle ». C'est ce contrat qui peut nous montrer le lien entre Alexandre de Guillermain et les seigneurs de Montpinay.

Jeanne de Guillermain décèdera le 25 novembre 1725, elle fera don du fief de la Matrouille à ses enfants, mais la reprise du fief est faite par Pierre De Royers en tant que « légitime administrateur des biens de ses enfants mineurs héritiers ab intestat (sans testament) de dame Jeanne Guillermain, leur mère ». Pierre décèdera le 5 mars 1729 à St Maurice, il aura testé le 4.

Il faut dire un mot des De Royers, probablement descendants de la famille beaujolaise des De Royers de Rongefer, car on trouvera un acte de vente d'une terre de Rongefer par Mr et Mme Desroyers (patronyme écrit ainsi).

Mais ce sont de grands architectes : Pierre De Royers était le fils de Paul De Royers de la Valfenière qui était déjà installé dans le Mâconnais, car il avait, 29 ans auparavant, donné les plans du château de Gorze à Germolles sur Grosne, près de Tramayes. Paul De Royers était issu d'une famille avignonnaise

De nombreux châteaux et prieurés ont été construits d'après leurs plans. Et en 1660 François De Royers fut architecte de l'abbaye de St Pierre les Nonains de Lyon aujourd'hui le palais Saint Pierre, place des Terreaux, il avait alors 80 ans et le suivi des travaux fut confié à Paul qui le termina en 1669, on le dit auteur des deux ailes du palais St Pierre. Paul était son fils, dit Raymond Oursel, son neveu dit Léon Charvet, peu importe il est le continuateur des œuvres de François.

Pierre De Royers et Jeanne de Guillermain ont eu dix enfants mais Alphonse est le plus âgé des garçons, il est né le 13 avril 1703, les frères sont beaucoup plus jeunes et les autres enfants sont des filles. Dans son testament Pierre De Royers donne une somme d'argent à chaque enfant mais la Matrouille ira au fils aîné Alphonse.

Alphonse reprend le fief le 14 décembre 1740. De son mariage avec dame Catherine Odin de la Malinière naîtra Anne-Catherine, ce qui nous ramène au premier acte trouvé dans les registres paroissiaux de St Maurice : le mariage d'Anne-Catherine avec Jean-Baptiste Chevalier de Bois Sainte-Marie, anciennement Notre-Dame du Bois, le 23 janvier 1760. Ils se sont mariés à St Maurice mais Jean-Baptiste Chevalier est alors seigneur des Raviers à Bois-Sainte-Marie et c'est là qu'ils vivront et que naîtront leurs enfants.

Jean-Baptiste Chevalier le 20 décembre 1761 après son mariage avec Anne-Catherine De Royers et au décès d'Alphonse De Royers, fait don du château et des terres, domaine de la Matrouille, dont il a donc hérité par son mariage, à Dame Catherine Odin de la Malignière, sa belle-mère.

C'est dame Catherine Odin de la Malinière qui demeure à la Matrouille, et gère ce fief. On trouve le 16 juin 1768 une vente de terre, puis renouvellement d'un bail à grangeage à Pierre Durry et à sa femme laboureur à St Maurice le 11 septembre 1768. Les Durry sont déjà « grangers chez Madame Desroyers » en 1760 où c'est confirmé sur l'acte de naissance d'un enfant de Saint Maurice, car, sur les actes de naissance, Dame Catherine Odin est souvent marraine..

Le 18 octobre 1771 il y a un « acte de remise et dépos des minuttes du terrier de La Matrouille par Dame Catherine Odin veuve Desroyers à Mre Cosme Sabatin notaire Royal demeurant à Amplepuis »

Donc Madame Desroyers est toujours vivante en 1771. On apprendra plus tard qu'elle terminera sa vie à Charlieu, après 1790.

Le 5-12-1780, elle donne plein pouvoir à sa fille et à son gendre pour vendre la propriété au frère de celui-ci, tous deux ont le même prénom, ce qui peut prêter à confusion. Mais, sur un autre acte du 30-07-1781, on trouve autre chose : il s'agira d'un échange entre Jean-Baptiste Chevalier et son frère, « autre Jean-Baptiste », ils vont s'échanger la Matrouille et un domaine à la Chapelle sous Dun et c'est donc le frère qui deviendra possesseur de la Matrouille, et vendra l'ensemble à Gilbert de Drée, le 15-02-1787

La vente de La Matrouille est inscrite sur les registres répertoires : ventes et acquisitions par Jean-Baptiste Chevalier à Gilbert de Drée, le 15 février 1787 chez le notaire Jacquier probablement de Gibles mais acte absent.

Avant le décès de son père, le 11 février 1798, c'est donc Etienne de Drée qui s'occupe de la Matrouille.

Mais va entrer en scène la fille de Gilbert de Drée : Anne Louise Albertine Gilberte de Drée, femme divorcée du citoyen Pons. Le citoyen Pons est en réalité au moment de son mariage le 4 may 1782 avec Louise Gilberte : « haut et très puissant seigneur, Messire Michel Denis Comte de Pons ». Elle aurait divorcé entre 1792 et 1794, date de cet acte puisque le divorce a été institué en France en 1792.

Il semble qu'il y ait toujours des problèmes avec les différents grangers. De nombreux actes se succèdent qui nous montrent que par la suite ce sera Anne Louise Albertine Gilberte de Drée qui possédera la Matrouille, car c'est elle qui signe les actes de bail des différents grangers, mais on ne trouve pas de donation.

Et le 22 prairial an 13, le 11 juin 1805, Louise de Drée vend la Matrouille à Jean Lathuillère qui est-il dit sur l'acte « y demeure présentement » : cet acte est passé par devant Mr Gaillard notaire à La Clayette

De ces Lathuillère on sait peu de chose : Un mariage entre Jean-Aymé Lathuillère et Catherine Constance Lathuillère le 21 janvier 1829 nous apprend qu'ils sont nés l'un à la Chapelle de Guinchay, l'autre à St Gengoux le Royal (appelé Jouvence, de la Révolution à la Restauration) mais les parents de l'épouse, Jean Lathuillère et Magdelaine Guillaume, décédés à cette époque, habitaient à St Maurice et même à la Matrouille où décède Magdelaine Guillaume, veuve, le 18 avril 1825.

Le 28-11-1827 ils font part de leur désir de vendre, « de gré et de libre volonté déclarent qu'ils donnent pleins pouvoirs à Mr Jean Bruyas ancien président de la cour royale de Lyon de vendre soit à l'amiable soit aux enchères, totalité ou en partie ... la propriété qui leur appartient par héritage de leurs parents au lieu dit à La Matrouille située sur les communes de St Maurice et Ligny en Brionnais. »

Le 26 novembre 1830, une partie : vignes, fromentaux, prés, sera vendue à Benoit Auboyer cultivateur à St Maurice « acquerrant pour lui et ses successeurs la contenance de 9 ares un pré dit la Morel ou La Charme et la contenance d'environ 24 ares de la pâture contigües appelée Fromental de la Morel etc. » Beaucoup de Lathuillère sont présents car on a des Lathuillère des deux côtés.

Une petite réserve assez curieuse est présente dans l'acte : « Il demeure réservé aux époux et frères Lathuillère la faculté de disposer à perpétuité depuis le jeudi matin jusqu'au lundi de chaque semaine, des eaux de la fontaine existante à la cime de la partie du pré sus vendue en les prenant à l'endroit où elles coulent actuellement, pour les conduire sur le surplus du dit pré leur restant sans pouvoir par ceux-ci les couper, la latitude donnée à l'acquéreur de transférer la dite fontaine où bon lui semblera de la dite partie de pâture susacquise et là les dits époux et frères Lathuillère prendront les eaux de cette fontaine, le temps leur appartenant comme susdit »

Par contre en 1834 Etienne Burthier maire de St Maurice lès Châteauneuf achètera la totalité.

(1) AD71, Registres d'état civil de Saint-Maurice-les-Chateauneuf-lès-Châteauneuf, Baptêmes, Sépultures, Mariages 1738-1767, p. 174/246. Transcription de cet acte : " Ce jourdhui vingt trois janvier mil sept cent soixante après avoir observé toutes les ceremonies prescrites par le sacré concile de trente, en dispense de deux bans de messeigneurs d'autun et de macon en datte des quinze et quatorze janvier année susdite signé fremond vicaire General dudit autun et de Bussi vicaire General dudit mâcon, nous soussigné avons celébré Le mariage entre mre jean Baptiste chevalier Ecuyer seigneur des raviers Garde du corps du roy fils majeur de feux mre aimé chevalier et de dame dame Elizabeth yolande defforges son épouse demeurant au Bois ste marie ; et damoiselle anne Catherine desroyers fille de mre jean Baptiste alphonse deroyers chevalier seigneur de la matrouille et autres lieu et de dame dame catherine audin de maligniere ses pere et mere demeurans dans leur chateau de la matrouille paroisse de st maurice. En presence de messire alphonce deroyers, de dame dame catherine de malignière, pere et mere de l'Epouse, de messire claude deforge chevalier de L'ordre militaire de St Louis et dame dame marie petitjean oncle et tante maternels demeurans à Semur En Brionnois, de mre jean Baptiste chevalier Garde du corps de sa majesté demeurant au dit Bois de Ste marie frère dudit époux et de mr françois chevalier de monrouan Seigneur de valetine et autres lieu demeurant En La paroisse de Gibles oncle paternel à la maniere de Bourgogne et mre claude chevalier de monrouan son fils gendarme de la garde du roy temoins requis enquis Et les dits Epoux ont signé ". Signatures : Chevalier, Desroyers, DeRoyers, Odin deroyers, chevalier des raviers, Le chevalier Desforges, Petitjean, Desforges, Chevalier de Monrouant, Gondras curé. (N.B. : Montrouant est un hameau de Gibles, Valetine un hameau de Colombier. En marge et en travers de l'acte : " renvoy de mgr guyon de Bois de ste marie ")

Sources :

- Les fiefs du Mâconnais par Mr Rameau, et ses documents manuscrits.
- Léonce Lex (ancien élève de l'Ecole nationale des chartes, archiviste à Mâcon).
- Inventaire de Peincedé.
- Essai historique de Châteauneuf en Brionnais par l'abbé Pagani.
- Archives départementales de Saône-et-Loire.
- Archives départementales de Côte-d'Or : Armand Accary.

(*) Texte aimablement communiqué par Jocelyne Brivet ; étude publiée partiellement dans la revue Mémoire Brionnaise, n°20, p. 19-22 (2008).

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