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La Tour-du-Pin de 1789 à 1793

Source : M. l'abbé Martin, Discours de réception à l'Académie delphinale, Bulletin de l'Académie delphinale, 1893 (BnF/Gallica).

Messieurs,

Votre aimable secrétaire perpétuel, qui a bonne mémoire, se rappelle sans doute mon étonnement au jour où il me fit part de mon élection à l'Académie delphinale. Je n'avais en effet rien publié, du moins qui méritât d'être signé, je n'avais d'autre titre qu'une grande bonne volonté qui, depuis, pour comble de malheur, a été entravée par les circonstances, et je me demande, en ce moment, avec une certaine inquiétude, par quelles ingénieuses périphrases notre sympathique président va vous persuader que vos suffrages ne se sont pas égarés.

Et pourtant, Messieurs, avec une audace que je ne qualifie pas, j'oserai vous féliciter de votre choix. On raconte que Louis XIV, rencontrant un jour le célèbre Jean Bart lui dit : « Je viens de te nommer capitaine de vaisseau. Sire, vous avez bien fait », répondit simplement le héros. Moi aussi, Messieurs, après vous avoir remerciés de la sympathie qui m'a valu vos suffrages, je vous dirai : vous avez bien fait. Vous avez bien fait à cause de l'habit que je porte ; vous avez bien fait à cause de la mission que je remplis : vous avez voulu honorer en ma personne le sacerdoce et l'enseignement, double vocation à laquelle j'ai donné ma vie.

Merci donc une fois encore de m'avoir admis dans vos rangs où je suis heureux de saluer avec respect et reconnaissance, plusieurs de mes anciens maîtres du Rondeau ou de la Faculté. Puissé-j'être fidèle à vos intéressantes séances et leur apporter la légère contribution de mes faibles travaux.

Le travail, que mon prédécesseur, le docteur Joseph La Bonnardière, avait médité sur son pays natal, je l'ai entrepris sur le mien. Comme Crémieu, La Tour-du-Pin porte un vieux nom bien connu : moins heureuse que Crémieu, elle n'a pas encore trouvé son historien. Sans viser à ce titre un peu prétentieux, j'ai rassemblé quelques notes sur cette modeste ville, et je serais heureux si je pouvais vous intéresser quelques instants en vous communiquant le résumé de ses archives durant la période révolutionnaire.

A la veille de la Révolution, La Tour-du-Pin, comme toutes les petites villes de nos provinces, s'administrait par ses deux consuls que l'élection changeait ou prolongeait chaque année. Toutes les questions importantes se traitaient en assemblée communale réunie dans la maison consulaire. La Tour-du-Pin était le chef-lieu du mandement qui comprenait onze autres lieux ou paroisses, savoir : Saint-Clair, Saint-Jean-de-Soudain, Roche-et-Toirin, La Chapelle, Montceaux, Montcarra, Mornas et Vaux, Saint-Didier, Sainte-Blandine, Montagnieu et Cessieu (Cette terre appartenait à la couronne qui la mit en vente en 1638, sous la condition de rachat perpétuel. Ses administrateurs ne purent profiter de la préférence qui leur était promise : « le manque de fonds, ou plutôt la négligence, s'y opposèrent » et le 8 septembre 1638 l'adjudication en fut passée aux sieurs de Musy, de Boffin et de Vallin, pour le prix total de 68, 250 livres.

Ces trois engagistes se divisèrent ensuite les paroisses : le sieur de Musy eut pour sa part, ainsi qu'il résulte des reconnaissances de 1680, celles de la ville ou bourg de la Tour-du-Pin, Cessieu, Saint-Clair, La Chapelle, Saint-Jean, Roche-et-Toirin, Montceaux et Montcarra. Le sieur de Boffin eut celles de Montagnieu, Sainte-Blandine et Saint-Didier, et le sieur de Vallin eut celles de Mornas et Vaux. Les douze paroisses n'en continuèrent du reste pas moins à former une seule communauté et un même mandement dont la Tour-du-Pin fut toujours le chef-lieu (d'après la Requête des consuls au Parlement en 1765. Archives du château de Cuirieu, transportées à Bouvesse.)

Les sieurs Olivier et Laurent-Vincent Lhoste étaient alors consuls ; le premier, depuis quatre ans ; le second, depuis deux ans. François Lhoste était châtelain, Mme Vve comtesse de Vallin était seigneur engagiste (Gabrielle de Musy était fille unique de Gabrielle de Vallin et de Georges de Musy. Elle épousa son cousin Pierre-Alexandre de Vallin, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, capitaine de cavalerie, seigneur d'Hières, Rousset, Brottet et autres places. Elle était déjà veuve en 1765).

Les dernières délibérations se rapportent aux octrois : celui du vin, en 1787, est affermé 1,060 francs à Joseph Blanc qui met surenchère après Michallon, Couilloud, Louis Blanc et Pierre Fréchet (L'octroi du vin était le principal et le plus ancien revenu de la ville. Il fait partie des « libertés » accordées à la ville par le Dauphin Jean en 1290).

En juin 1788, un sieur Michel Berger se présente comme régent des écoles, qu'on lui confie aux honoraires de 120 francs. Il ne devra pas augmenter la rétribution des élèves de lecture, d'écriture, d'arithmétique et de latin, et il enseignera gratis à quatre des plus pauvres habitants pour la rétribution de 30 francs que lui paiera le syndic de l'hôpital (Par testament reçu M° Veyret, notaire à la Tour-du-Pin, le 23 août 1715, César Chapuis lègue à l'hôpital de la Tour-du-Pin la somme de 1,000 livres à lui due par le sieur Claude Chapuis, son neveu et héritier, à la charge par les directeurs de l'hôpital de payer annuellement et à perpétuité 30 francs au maître d'école établi à la Tour-du-Pin pour apprendre à lire et à écrire à quatre pauvres de la paroisse de La Tour. Papiers de la famille Lhoste).

Les habitants de La Tour-du-Pin ne paraissaient donc pas se douter des terribles commotions qui allaient ébranler le sol de la France.

Mais au début de cette Révolution, plus sociale encore que politique, qui donc eût pu se douter de la marche qu'elle allait suivre, et qui eût pu soupçonner les excès auxquels elle devait aboutir ? Qui eût prévu ces réalités sanglantes après de si beaux songes ? Ceux qui s'étaient vantés de construire un magnifique édifice n'accumulèrent que des ruines ; ceux qui avaient rêvé la paix et les félicités de la philanthropie, allaient être témoins des plus sanglants désastres ; en promettant l'avènement de la liberté, on ne préparait que le plus épouvantable des tyrannies.

Gardons-nous cependant de nier que la Révolution n'ait été le point de départ de grandes améliorations sociales, de réformes utiles et désirables. Aucun homme de bonne foi ne conteste qu'elle n'ait doté la France de garanties précieuses. Pourquoi fallut-il payer ces avantages au prix de telles épreuves ? C'est que la Révolution, détournée de son courant par des hommes néfastes, devint violente, injuste, irréligieuse ; c'est que, surtout, la France avait besoin d'expiation, et nos épouvantables déchirements civils, suivis de vingt années de guerres étrangères allaient enfin racheter dans des flots de sang, les immoralités, les défaillances et les blasphèmes du XVIII° siècle.

Un malaise régnait dans la société ; il n'y avait plus accord entre les ordres de la nation : le clergé, riche en dotations, mais déchu dans sa foi, ses mœurs et son prestige, était divisé en politique et inexpérimenté dans les affaires publiques. La noblesse, voluptueuse, railleuse, souvent impie, avait presque toujours, dans son imprévoyance, fait opposition aux sages réformes proposées par la royauté ; ruinés par leurs dépenses à la cour ou à l'armée, les seigneurs ne venaient sur leurs terres que pour presser la rentrée des dîmes et des impôts, vieux droits féodaux détestés comme les débris d'un régime suranné, redevances séculaires que le peuple trouvait lourdes, parce qu'il avait perdu le souvenir des anciens contrats qui les légitimaient.

A La Tour-du-Pin, la communauté a engagé un long procès contre Madame de Vallin à propos de droits qu'elle voulait créer ou faire revivre ; à Sainte-Blandine et Montagnieu, c'est une querelle contre Madame de Saint-Chamond-Murinais pour le droit d'avenage, et des symptômes de révolte auraient dû avertir des esprits plus clairvoyants ; dès 1763, lors des discussions interminables entre la communauté de La Tour et Madame de Vallin, à propos de l'élection du maire, Paillet disait publiquement que « son père travaillait à arranger les affaires de La Tour, que bientôt les habitants ne paieraient ni lods, ni rentes, qu'ils auraient la liberté de chasser et de pêcher ; que la communauté serait affranchie de toute seigneurie et serait seigneur elle-même, qu'on ferait bouquer là Madame de Vallin, qu'on la rendrait bien petite dame et qu'on ne verrait plus tant rouler de carrosses. » Paroles bien remarquables, si l'on songe qu'elles devaient, trente ans plus tard, se réaliser.

Aussi comprend-on que ce fut une grande émotion dans le pays quand, au mois d'août 1788, on annonça la prochaine réunion des Etats-Généraux, mot magique qui n'avait pas été prononcé par nos rois depuis 1614. La noblesse devait nommer directement ses députés ; le clergé inférieur nommait seulement des délégués qui, réunis aux membres du haut clergé, devaient procéder à l'élection du premier ordre de l'Etat ; le Tiers-Etat, par un troisième procédé, nommait des délégués, lesquels devaient choisir, parmi eux, les membres appelés à la députation.

Le 24 août, l'assemblée communale nomme d'abord, pour aller à Vienne, concourir à la nomination de 22 députés de l'élection de Vienne ; à l'assemblée générale de la province, à Romans, Laurent-Vincent Lhoste, bourgeois et consul de la ville qui fut ensuite député à Romans, où Mornas et Vaux députa directement Picot La Beaume, avocat ; en même temps pour élire les représentants aux Etats-généraux on délégua, à Bourgoin d'abord, Laurent Coche, puis François Perroncel.

Le 8 février 1789, on nomme comme collecteur des impôts le sieur Arnaud Blanc, et on refuse d'accepter la démission des deux consuls, « considérant qu'il n'est point dans l'intérêt de la communauté qu'ils cessent leurs fonctions ». On remplace seulement M. Prunelle, médecin, qui n'habite plus le pays, par Gaspard Rulat, comme un des recteurs de l'hôpital.

Cependant les États-Généraux se sont assemblés en mai. Nous voyons un roi juste, mais faible, résigné et indécis, mal secondé par la noblesse imprévoyante et un clergé peu uni et inexpérimenté, et en face le Tiers-État qui se donne pour le redresseur des abus, le champion des intérêts du peuple, et auquel la popularité, l'habileté de ses chefs et leur audace, donnèrent une facile victoire sur une société malade et décrépite.

Voilà la Révolution commencée et l'agitation va régner pour longtemps dans le pays. Le 19 juillet, les nouvelles de Paris commencent à se répandre : c'était un dimanche. « ils ont pris la Bastille, à Paris » disaient les uns. Pourquoi les consuls nous cachent-ils la délibération de Grenoble dont ils ont reçu copie ? A l'issue des vêpres, un grand nombre d'habitants s'assemblent dans l'église « pour délibérer sur l'état présent des choses ».

Sur les réclamations réitérées, les consuls font lire la délibération qu'avaient rédigée le 15 juillet les citoyens de tous les ordres de la ville de Grenoble. C'était une adresse envoyée par les habitants de Grenoble au sujet de la résolution que venait de prendre le Tiers-État de se constituer en Assemblée nationale. Ici nous copions le procès-verbal : « L'assemblée, pénétrée des mêmes sentiments de patriotisme que les citoyens de la capitale da la province, a unanimement délibéré et arrêté qu'elle acquiesce formellement à ladite délibération du 15 de ce mois, avec tout son contenu, sans aucune réserve. Et, à l'instant, tous les délibérants ont fait serment, en présence du Juge redoutable des rois, de maintenir de tout leur pouvoir l'autorité royale dans toute son intégrité, de réprimer de tout leur possible les attentats de ceux qui auraient la hardiesse de vouloir la partager, et de rester inébranlablement attachés aux principes de l'Assemblée nationale. »

Cette délibération est revêtue d'environ 80 signatures, entre autres celles de M. François-Catherin Chapuis, curé de La Tour-du-Pin, et Jacques Chapuis, curé de Montceaux. Cependant, de la capitale le désordre se répand bientôt dans la province. On apprenait successivement les meurtres impunis des de Launay, Flesselles, Foulon, Berthier, et les bandits se crurent désormais tout permis.

Le lundi 27 juillet, vers les quatre heures du soir, les habitants de La Tour-du-Pin entendent sonner le tocsin auquel répondent tous les clochers des paroisses voisines. De toutes parts on n'entend que pleurs et cris alarmants ; on dit qu'il arrive, du côté de la Savoie ou du Bugey, 10 à 20,000 hommes qui mettent tout à feu et à sang. Les femmes et les enfants effrayés s'enfuient, tandis qu'une foule d'hommes armés de fusils, de faulx ou de fourches arrivent au secours de la ville menacée, et que M. le Curé, le Consul et le chevalier de Murinais demandent du renfort à Bourgoin où avait couru déjà le sieur Arnoux, notaire et agent de Madame de Vallin. Bourgoin n'envoya aucun secours : cette ville eut assez à faire de se défendre contre les bandes qui l'envahirent à son tour.

D'où venaient ces bruits perfides et mystérieux qui coururent au même moment, à la même heure, dans toute notre région, ou plutôt dans la France entière ? On ne le saura apparemment jamais : un pouvoir occulte conduisait déjà notre malheureuse patrie.

Quoi qu'il en soit, ce fut un prétexte pour armer les paysans, pour former des rassemblements tumultueux ; puis des meneurs inconnus, des « Messieurs étrangers » que signalent tous les rapports, tournèrent contre les châteaux l'ardeur que des hommes de bonne foi apportaient contre les ennemis ou contre les brigands [Le procédé est partout le même : « à Angoulême, le 28 juillet, vers les trois heures de l'après-midi, le tocsin sonne, la générale bat, on crie aux armes : il faut mettre la ville en défense contre 15,000 bandits qui approchent. A neuf heures du soir, il y a 20,000 hommes sous les armes. Le lendemain, contre les bandits toujours absents, les campagnes arrivent : à neuf heures nous avions 40,000 hommes que nous remerciâmes. » Cité par M. Taine, Révolution, I, p. 78. M. Taine ajoute : Dans les provinces de l'Ouest, du Centre et du Midi, ces explosions sont isolées ; mais, du côté de l'Est, depuis l'extrême Nord jusqu'à la Provence, la conflagration est universelle. Alsace, Franche-Comté, Bourgogne, Mâconnais, Beaujolais, Auvergne, Viennois, Dauphiné, tout le territoire ressemble à une longue mine continue qui saute à la fois. (Révolution, I, p. 98.)].

Les châteaux de Cuirieu, de Vallin, de Pin, de Montcarra, de Toirin, reçurent la visite de ces bandes désordonnées, qui pillèrent les caves et le mobilier, brûlant les papiers et terriers, heureux quand elles ne joignaient pas l'incendie au pillage.

L'autorité s'était émue ; les consuls, qui avaient payé de leur personne à Cuirieu pour calmer les pillards, apprenant que deux cents hommes d'artillerie arrivaient de Valence à Virieu pour arrêter les désordres, s'empressant de réunir l'assemblée (*), et on décide d'envoyer quatre citoyens prier le commandant de détacher à La Tour-du-Pin un piquet de trente hommes pour veiller à la sûreté publique. Le détachement arriva avec le marquis de Frémond à sa tête et deux pièces de canon.

(*) La délibération signale la présence de M. Champel, membre de la Commission intermédiaire des Etats du Dauphiné, et de M. Picot-Labeaume, avocat à la Cour. La Commission intermédiaire avait été instituée par les Etats provinciaux de Romans, pour veiller aux affaires politiques de la province dans l'intervalle d'une session à l'autre.

On était encore à peine rassuré, d'autant plus que dix-huit « brigands » arrêtés en fin juillet par les gardes des fermiers-généraux et conduits à Bourgoin par la milice bourgeoise, avaient été de suite élargis. Ces hommes, de retour chez eux, menaçaient les habitants de leur vengeance. Une nouvelle assemblée, tenue le 18 août, décide de prier le commandant de la province d'envoyer un nouveau détachement et des armes pour la milice bourgeoise.

Enfin, pour achever de rassurer la population, l'assemblée créa vingt-cinq officiers de garde commandant six hommes, pour faire sentinelle de six heures du soir à six heures du matin. Les deux consuls seront les chefs de cette milice bourgeoise et tous « font le serment le plus solennel de défendre la liberté, la propriété et tous les citoyens de ce bourg et ses dépendances, au péril de leur vie ».

Le calme paraît enfin un peu rétabli, et le 11 octobre on publie le ban des vendanges.

En novembre, on nomme un consul pour chaque communauté ; à La Tour-du-Pin, les mêmes, Ollivier et Lhoste, sont réélus (*), et l'on décide que François Lhoste et Victor Gallet parcourront les communautés pour lever la contribution patriotique.

(*) A Mornas-Vaux (Saint-Victor-de-Cessieu) : Michel Marmonnier. A Saint-Clair : Jean Gallien. A Montcarra : François Martin Dagand. A Montceaux : François Charbinat. A Roche-Toirin : Pierre Liobard. A Saint-Jean-de-Soudain : Jean Guerrit. A Montagnieu : Pierre Veyret. A Saint-Didier : François Brochier. Nulle mention de Cessieu, La Chapelle et Sainte-Blandine.

Tout l'ancien système de justice et de tribunaux avait été aboli avant qu'on eût songé à la manière de le remplacer. Pour y pourvoir, on nomma, pour recevoir les plaintes et faire les informations, Gaspard Rulat et Joseph Chalon, de La Tour-du-Pin, avec deux délégués qu'enverra chacune des communautés ; ils prêteront serment devant le châtelain et les deux consuls. Du reste, dans l'assemblée générale du 6 décembre, les délégués des paroisses décidèrent que, pour mieux unir leurs forces, les douze communautés ne formeraient désormais qu'une municipalité, de même qu'elles ne formaient naguère qu'un mandement. Chacune d'elles fournira des députés pour le conseil municipal et des hommes pour un corps de troupes qui veillera à la défense commune.

C'était un dimanche, le soir à l'issue des vêpres les consuls entourés des notables et de la garde nationale, se rendent drapeau rouge en tête, à l'église paroissiale. Le curé Chapuis fait lecture de la loi martiale que l'Assemblée nationale venait de voter ; il l'explique, puis procède à la bénédiction du drapeau. Le cortège s'arrête, en descendant, sur la place principale, où le secrétaire donne aux habitants lecture de la même loi.

Les Lois se succèdent d'ailleurs rapidement, et déjà l'Assemblée nationale se laissant diriger par les hommes violents et audacieux, glissait sur la pente irréligieuse : la déclaration des droits de l'homme est publiée, les vœux monastiques sont attaqués et, dès le 2 novembre, la proposition, qui déclarait les biens du clergé biens nationaux, avait été convertie en décret.

1790

Le 11 janvier, l'assemblée de La Tour-du-Pin, dont fait partie le curé Chapuis, rédige une adresse d'adhésion aux décrets des « dignes représentants de la nation ». Les signataires se déclarent « prêts à verser leur sang, s'il en est qui soient assez téméraires pour troubler l'harmonie qui règne entre l'auguste Assemblée nationale et le monarque si digne de l'amour de ses sujets ».

Il faut dire que ces protestations étaient quelque peu intéressées ; car l'Assemblée s'occupait alors de donner à la France de nouvelles divisions administratives et le bruit se répandait qu'il y avait un projet de département dont le chef-lieu devait être Vienne avec six districts : Le Pont-de-Beauvoisin, Bourgoin, Crémieux, La Côte-Saint-André, etc. La Tour-du-Pin n'y figurait point.

Les notables assemblés expriment « la profonde douleur dont cette nouvelle les a pénétrés ; ils croiraient manquer à eux-mêmes et à leurs concitoyens, s'ils laissaient ignorer à l'auguste Assemblée que La Tour-du-Pin doit avoir un district de préférence au Pont-de-Beauvoisin et même à Bourgoin », ce qu'ils s'efforcent de prouver longuement. Mais, par bonheur, ce projet d'un « département de la Gère » fut abandonné. Le décret du 14 décembre avait réorganisé les nouvelles municipalités. Celle de La Tour-du-Pin devait se composer d'un maire, d'un procureur de la commune, sans voix délibérative chargé de défendre les intérêts et de poursuivre les affaires de la communauté et de faire les réquisitions ; quatre officiers municipaux, chargés d'assister le maire et formant, avec lui un conseil permanent ; dix-huit notables formant, avec les membres du corps municipal, un conseil général, qui ne devait être convoqué que pour les affaires importantes et pour le règlement du budget.

C'est dans le mois de janvier 1790 qu'on procéda aux élections de la nouvelle municipalité qui, d'après le décret du 14 décembre, devait remplacer l'administration consulaire. Aux termes de ce décret, étaient électeurs ceux qui payaient des impositions équivalant au prix de trois journées de travail, et éligibles ceux dont la cote correspondait à dix journées. La journée d'homme est fixée à La Tour-du-Pin à 20 sols (*).

(*) On n'avait pas imaginé encore le suffrage universel. Comme le disait l'illustre Barnave : « La fonction d'électeur n'est pas un droit ; il faut avoir les lumières, l'intérêt à la chose publique et l'indépendance de fortune ; car le gouvernement représentatif n'a qu'un seul piège à redouter : c'est la corruption, c'est le recrutement des mandataires de la nation, non parmi les plus honnêtes, mais parmi les hommes qui mettent l'intrigue à la place de la probité. » C'est lui encore qui écrivait : « Il ne suffit pas de vouloir être libre, il faut encore savoir l'être ». (Tome Ier de ses œuvres, Mémoires et discours)

L'art de l'élection, depuis si perfectionné, était alors dans l'enfance ; les candidats ne songent pas à indemniser des électeurs encore novices ; aussi pour élire les quatre officiers municipaux fallut-il deux journées, les voix se dispersant sur plus de quarante noms.

M. le curé Chapuis préside l'assemblée ; la majorité se réunit enfin sur François Perroncel, négociant ; François Prunelle, médecin ; François-Catherin Chapuis, curé, et Pierre Chapuis, cultivateur, qui seront les quatre officiers municipaux. Ce dernier s'étant désisté fut remplacé par Laurent Coche, négociant.

François Lhoste, notaire, reste maire ; Clément-Victor Gallet, notaire aussi, reste secrétaire, et Laurent-Vincent Lhoste prendra le titre de procureur de la commune.

Avec eux sont élus moins laborieusement dix-huit notables (*). Tous font serment, car c'est alors que commença à sévir cette épidémie de serments successifs, qui dura pendant toute la période révolutionnaire, tous font serment « de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution du royaume, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de remplir avec zèle et courage les fonctions civiles et politiques qui leur seront confiées ».

(*) Voici quelques noms : Mathieu Gentil, marchand ; Pierre Sambin, Arnaud BLanc, cultivateurs, de la Tour-du-Pin. Jacques Veyret, Joseph Clavel, cultivateurs ; Ennemond Savoyat, maréchal, de Sainte-Blandine. Antoine Bejuy, Georges Vinay, Jean Gallien, cultivateurs, de Saint-Clair. Guillaume Berger, Jean Liobard, Antoine Rey, de Montcarra. André Doublier, François Cotin, François Melin, etc.

Le curé Chapuis avec Perroncel et le maire formeront le bureau, qui se réunira chaque samedi ; les autres formeront le conseil, qui se réunira seulement le dernier samedi de chaque mois.

Cependant le département de l'Isère venait d'être formé et un des quatre chefs-lieux de canton était La Tour-du-Pin. Cet avantage n'avait pas été obtenu sans opposition du côté de Bourgoin, qui avait envoyé plusieurs délégués à Paris pour soutenir ses prétentions. Le 9 février, on y rédigeait une délibération où l'on s'attachait à faire valoir les droits de Bourgoin à devenir chef-lieu du district « plutôt que Vienne et surtout La Tour-du-Pin ».

Malgré tous ces efforts, le décret du 26 février désignait cette dernière ville en faveur de laquelle sa position centrale et le vœu des populations avaient fait pencher la balance. Sans se décourager, la ville rivale concentra tous ses efforts pour obtenir, du moins, le tribunal de justice ; ses instances furent couronnées de succès. La Tour-du-Pin, frustrée dans sa légitime confiance, envoya inutilement mémoires et députations, rien ne fit contre la puissante influence qui avait favorisé Bourgoin. L'assemblée nationale, du reste, fatiguée, avait interdit par décret toute réclamation, et La Tour-du-Pin n'eut plus qu'à rappeler de Paris M. Perroncel de Beauvenir, qui y était allé plaider sa cause.

Une des objections présentées contre le choix de l'Assemblée était le manque de logements à La Tour-du-Pin. Or l'Assemblée nationale, poussée par la secte antichrétienne, venait précisément (13 février) de voter l'abolition des vœux monastiques et la suppression des Ordres religieux. On jeta donc un coup d'œil d'envie sur le vaste clos et bâtiment des RR. PP. Récollets. Ce couvent avait été fondé en 1620 et dédié sous le patronage de saint Jérôme ; il occupait un vaste clos carré de 3,600 toises delphinales ; il n'était plus composé que de trois pères et un frère. L'un de ses prêtres résidait depuis plus de vingt ans à Montagnieu, où il tenait l'école ; un autre, faisait fonctions de vicaire à La Tour-du-Pin « à la satisfaction publique ». Le P. Gardien était donc, pour ainsi dire, seul avec le frère.

Ce sont les raisons que le bureau de la municipalité fait valoir dans sa demande où « il supplie Nosseigneurs (*) de l'Assemblée nationale de faire retirer les Récollets et alors cette ville va doubler ses logements dans ce clos, où elle peut, avec les grands bâtiments qui existent, former les salles publiques de la justice, de conseil et chambre de greffe, et autant pour le district et municipalité. On peut y faire les prisons voûtées, les appartements des écoles des deux sexes ; les logements des chefs s'y trouveront aussi ».

(*) Ce n'est que le 21 juin qu'un décret abolit la noblesse, les titres nobiliaires et honorifiques, et interdit de donner le titre de Nos Seigneurs ou Monseigneur à aucun corps ni à aucun individu.

Dans la même supplique, le bureau propose aussi : « considérant que les habitudes des habitants ne sont point chicaneuses, de nommer trois juges de paix pour éviter d'avoir tant d'avocats, dont la multitude fait naître des difficultés ».

On a nommé un commissaire de police, Louis-Joseph Guerrit, et on a élaboré un règlement de police dont le préambule, suffisamment solennel, mérite d'être cité :

« Règlement pour l'observance des lois divines et humaines. Les premières sont trop respectables et trop importantes aux yeux de tout bon citoyen, pour qu'ils puissent avoir l'idée de se soustraire aux devoirs qu'elles lui imposent ; les secondes, quoique d'un genre inférieur, ne sont pas moins nécessaires à son bonheur particulier ; c'est principalement à assurer l'exécution de ces dernières que nos fonctions sont destinées. Les autres ne nous seront jamais étrangères, mais elles sont confiées à des ministres de la religion trop instruits et trop zélés, pour que nous devions, sans y être invités par eux, mêler notre ministère à celui qu'ils remplissent si dignement ».

Ce règlement, fait pour toutes les paroisses de la municipalité prescrit que les aubergistes, cabaretiers, cafetiers (ce mot paraît ici pour la première fois dans nos archives) cesseront de servir le soir, au son de la cloche, à huit heures du soir, de la Toussaint à Pâques, à neuf heures de Pâques à la Toussaint.

Défense de faire jouer ou donner à boire pendant les messe et vêpres, et dans aucun temps aux «jeunes gens de famille » qui ne doivent non plus jamais prendre part aux jeux de hasard, même permis.

Défense aux marchands d'ouvrir leurs boutiques et aux colporteurs d'étaler leurs marchandises les jours de dimanche et fêtes.

Défense de louer logement à un étranger s'il n'est porteur d'un certificat de bonne vie et mœurs.

Les articles suivants sont plus élémentaires : Défense d'entreposer les fumiers dans les places, rues et chemins.

Défense d'enlever dans les possessions d'autrui aucun plant d'arbre, cep, haie vive, sous peine d'être poursuivi comme voleur.

Nous verrons qu'il fallut bien souvent rappeler l'exécution de ce règlement.

Grenoble préparait la fête de la fédération des Gardes nationales ; on délègue vingt-cinq hommes dont trois officiers qui, partis le 9 avril, arrivent à Grenoble le 11, et se réunirent aux sept mille gardes nationaux qui prirent part à la cérémonie dans la plaine de Grenoble ; deux messes furent célébrées en même temps et tous prêtèrent le serment solennel. On préparait peu à peu l'expulsion violente des religieux dans toute la France, mais on voulait garder leurs richesses ; aussi des lettres-patentes du roi ordonnent-elles de faire l'inventaire de tout ce qui existait dans les maisons religieuses ; les officiers municipaux vont faire chez les Récollets un inventaire détaillé.

Les écoliers mêmes voulaient jouer aux soldats et aux républicains, et les idées nouvelles fermentaient dans leurs jeunes cerveaux ; le 15 mai, la municipalité réunie vit arriver « Messieurs les étudiants du pensionnat de La Tour-du-Pin qui demandent à prêter le serment civique ». On les prend au sérieux, l'un d'entre eux prononce un discours où ils jurent, eux aussi, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi. Nous n'avons malheureusement pas la prose du jeune collégien, bien qu'on lui ait promis de transcrire son discours sur le registre.

En juin, les citoyens actifs des municipalités de La Tour-du-Pin, la Chapelle, Saint-Didier et Montceaux se réunissent dans l'église des Récollets pour élire sept membres qui se réuniront à l'assemblée des électeurs du département, laquelle doit élire les membres de la Commission départementale. L'assemblée fut nombreuse ; la séance, prolongée par la prestation individuelle de l'inévitable serment, dura deux dimanches entiers et aboutit à l'élection de : Fiacre Bergeron, bourgeois de la Tour-du-Pin ; Prunelle, docteur-médecin ; Magnin, notaire ; Coche fils, avocat ; François Lhoste, maire de La Tour-du-Pin ; Guttin, procureur de la commune de Saint-Didier ; Cl. Perrin, maire de la Chapelle. Quelques jours après, nouvelle assemblée générale des gardes nationales. Il s'agit, cette fois, d'élire des députés pour prendre part à la Fédération de Paris, le 14 juillet prochain ; on choisit MM. Antoine Ollivier, commandant ; François Victor Gallet et François-Siffrin-Silvain Faulcon, sergent-major, avec tout pouvoir pour prêter « le serment civique et éternel de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution du royaume, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, jusqu'à la dernière goutte de notre sang. Les délégations de Crémieu, Bourgoin, Saint-Geoire, Grand-Lemps se réunissent aussi dans l'église des Récollets (*).

(*) Les délégués de Crémieu se sont donné pour aumônier le R. P. Morard, augustin de Crémieu, qui voudra bien les accompagner.

En juillet, Charles-Louis, marquis de Boissac (*) et Antoine-Louis-Victor Daubergeon de Murinais, tous deux anciens officiers, prêtent et signent le serment civique. Cela n'empêchera pas le marquis de Boissac, chevalier de Saint-Louis, brigadier des armées du roi, seigneur de Saint-Didier, Cuirieu et autres places, de porter sa tête sur l'échafaud.

(*) BOISSAC Charles-Louis, lieutenant-colonel de dragons, âgé de 71 ans, né et domicilié à Lyon, rue Saint-Jean, condamné à mort comme contre-révolutionnaire, le 18 nivôse an 2 (7 janvier 1794), par la commission révolutionnaire de Lyon (http://les.guillotines.free.fr/).

Le premier anniversaire du 14 juillet est l'occasion du renouvellement général du serment civique. On a écrit à tous les curés de la municipalité d'annoncer la fête au prône. C'est L. Coche, le plus ancien officier municipal, qui la préside en l'absence du maire (François Lhoste, maire, et Joseph-François Prunelle sont à l'assemblée de Moirans). On a préparé un autel dans la prairie de Praille.

Le conseil est réuni. Coche, prenant la parole, dit que « ce jour si désiré de l'alliance avec nos frères français est enfin arrivé ; que cette heure de midi est imposante, où tous les citoyens du royaume font serment d'être fidèles à la loi et au roi ». Cependant on arrive de tous côtés : les citoyens de la Chapelle demandent à être introduits pour prêter le serment ; un détachement de la garde nationale attend à la porte ; tout est prêt, mais le président ne veut pas perdre une de ses phrases écrites dans le style emphatique du temps, et il s'attarde tout en s'écriant : « Notre mutuelle inclination voudrait devancer le moment ! ... nous considérons tous que ce serment va être l'alliance éternelle avec tous nos frères français, et qu'il va donner de nouvelles forces aux bonnes mœurs : elles sont le principe de l'union, et l'union est le principe de la force contre les ennemis de la constitution. »

Enfin, on sort ; arrivé à la place, on y trouve le corps de citoyens en armes avec les drapeaux ; on se rend en ordre à l'autel ; les dames et demoiselles citoyennes sont, sur leur demande, admises à la cérémonie. Le commencement de la messe a été annoncé par les canons et tambours, et tous y assistent. C'était assurément un spectacle imposant.

La messe achevée, M. le curé prononce un discours sur l'importance du serment civique. M. Coche, plus pratique encore, démontre la nécessité de payer les impôts avec exactitude ; puis toute l'assemblée, levant la main, midi sonnant, M. Coche prononce à haute voix : « Nous jurons tous d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi, de protéger en particulier la sûreté des personnes et des propriétés, la libre circulation des subsistances, la perception des impôts, et de demeurer réunis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité. » Tous ont répété : « Je le jure. »

Le lendemain, le conseil décide de donner 12,000 francs de la maison et du clos des Récollets, pour y installer les salles d'assemblée, de greffe, logements et prisons.

Il était difficile, au milieu de l'effervescence générale, de tenir la population dans les limites d'une sage liberté. Nous voyons que, le 30 juillet, le conseil se plaint de ce que le règlement de police, déjà deux fois publié, n'est guère observé ; on le publie et on l'affiche une troisième fois, sans plus d'effet, car au mois d'août, nouvelles plaintes du conseil : « il y a des abus, dommages aux clôtures, vols de fruits. La douceur avec laquelle on a obtemporisé, devient de l'impunité. » Le règlement sera encore affiché et exécuté. Ce sont peut-être ces désordres qui décidèrent le maire, le sieur Coche, à démissionner ; alléguant son grand âge et sa surdité. En septembre, on élit à sa place, M. Picot André, de Charvin, docteur-médecin.

Le moment était proche, du reste où l'on devait renouveler par moitié les officiers municipaux et les notables ; il fallait, en outre, aviser à remplacer le procureur de la commune, Laurent-Vincent Lhoste qui venait de mourir.

L'assemblée fut annoncée et affichée pour le 14 novembre, et publiée au prône des paroisses intéressées. Hélas ! L'ardeur électorale était déjà bien refroidie, puisque sur 418 électeurs inscrits, 50 seulement répondent à l'appel. C'est encore le curé Chapuis qui est élu président ; après quoi l'assemblée est renvoyée au dimanche suivant.

Mais dans l'intervalle des incidents graves surgirent. L'accord était loin d'être parfait entre les différents membres de l'administration. Quels griefs provoquèrent la crise municipale ? Les registres n'en disent rien. Quoi qu'il en soit, le 19 novembre le maire Picot convoque le Conseil général et donne sa démission, alléguant qu'il ne peut concilier ses fonctions avec les soins qu'il doit aux malades. A son tour, M Chapuis, curé, explique que « l'incompatibilité de son état avec celui d'officier municipal et le peu d'accord qui règne entre la municipalité et le chef de la garde nationale l'oblige comme ministre de paix, à donner sa démission, ainsi que de la place de président, où l'ont élu les voix de la dernière assemblée ». Devant ces mésintelligences, le secrétaire Gallet déclare cesser ses fonctions de secrétaire, et sort en laissant le registre sur le bureau. L'assemblée ne put se réunir le 21.

Jusqu'alors les cinq paroisses rurales de Sainte-Blandine, Saint-Clair, Saint-Jean, Toirin et Montcarra, étaient demeurées unies à La Tour-du-Pin, avec laquelle elles ne formaient qu'une seule municipalité. Ce furent sans doute ces dissensions qui firent demander à Montcarra sa séparation, sous prétexte de l'éloignement. Les quatre autres communes voulurent aussi avoir leur municipalité particulière et n'envoyèrent aucun délégué à l'assemblée du 28, où se continuèrent enfin les élections commencées le 14.

M. le curé Chapuis préside encore, mais il maintient sa démission qui est enfin acceptée avec celle du maire Picot. La ville ayant 1,148 habitants, la municipalité se composera de six officiers municipaux, y compris le maire, et de douze notables.

Les votes de 65 votants se dispersent sur 35 noms, et enfin sont élus Jacques Coche fils, avocat, comme maire. Les cinq autres officiers municipaux sont : l'abbé Louis Bergeron, Joseph Chalon, Gaspard Rulat, Pierre Picot et Pierre Chapuis restant, qui formeront ce qu'on appelle, pour la première fois, le Conseil municipal.

Le lendemain on élit pour procureur de la commune M. Chevallier et avec Mathieu Gentil, restant, onze notables qui formeront le Conseil général de la commune. (*)

(*) Notables élus : MM. Joseph Guillon, André Sambin, M. le curé, Joseph Chapuis, Antoine Baud, Jean Barral, Michel Thevenet, Benoit Chalon, Joseph-Pierre Laforge, Jean Franquet, Georges Tardy.

L'abbé Bergeron et le maire formeront le bureau avec M. le Curé nommé à l'unanimité trésorier. Ce bureau fera les fonctions des recteurs pour percevoir les revenus et les distribuer aux nécessiteux.

La première mesure proposée fut d'offrir le monopole des chaises dans l'église. L'acceptant fournira 200 chaises neuves pour la commodité des fidèles ; il percevra trois deniers par chaise, six deniers quand il y aura sermon, grand'messe ou chants. Défense d'apporter d'autres chaises. Ce contrat sera valable jusqu'au 1er janvier 1792, et ensuite les chaises seront laissées à la disposition de la ville.

Vers la fin de cette année (15 décembre), le Directoire du district (qui se composait des sieurs Varnet, Vattel, Charrel et Alrici, procureur syndic) dénonce tout à coup un complot. « II faut tâcher de découvrir les fils de ces infâmes projets ». La garde est rétablie ; on installe un dépôt pour les munitions, « le cas est pressant », on achètera de la balle et des poudres. Naturellement, on ne découvrit rien.

Pendant ce temps, les experts essayent vainement de terminer les opérations de l'estime des biens à acquérir ; les terriers ont été détruits, et ils renoncent à leur tâche.

Le canton de La Tour-du-Pin ayant été enfin formé des municipalités de La Tour-du-Pin, Saint-Jean, Roche-Toirin, Montcarra, la Chapelle, Saint-Didier, Montagnieu, Saint-Clair et Sainte-BIandine, on choisit un juge de paix qui sera Joseph-François-Victor Prunelle, médecin, dont l'élection ne prend pas moins de deux jours.

1791

Le 2 février 1791, la municipalité de La Tour-du-Pin se transporta à Sainte-Blandine pour recevoir solennellement, après la messe paroissiale, le serment de M. François Guédy, curé, qui jure, en présence de ses paroissiens, « de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout son pouvoir la constitution. »

L'octroi de cette année est affermé 1,260 livres, mais un décret du 7 février va bientôt supprimer cette source de revenus. Le 14 février, le procureur Claude Chevallier lit un rapport qui sent le style de l'époque : « La Tour-du-Pin qui fut le séjour des Dauphins, qui mérita leurs faveurs, qui repoussa avec tant de bravoure les attaques d'Amédée de Savoie, qui a eu dans son sein un tribunal de justice, après avoir tout perdu, se trouve dans le cas d'espérer que du sein même de sa détresse renaîtra sa splendeur ». Il propose d'acheter les bâtiments et clos des ci-devant Récollets pour en faire des halles, des logements et un collège pour l'éducation publique. « Cette démarche est digne de votre patriotisme ; elle est en même temps le vœu de nos concitoyens et de nos voisins ; son exécution fera leur félicité et procurera un avantage réel à plus de cent municipalités ; il faut acquérir aussi le four banal, et vos noms seront à jamais recommandables. » L'acquisition fut décidée deux mois après. En attendant on procède à l'expulsion des RR. PP. qui eut lieu le 15 mars suivant.

Sept personnes de la suite de Mesdames de France viennent loger à l'auberge du Palais-Royal, où leur arrivée cause grand émoi. Quelques jours après, on arrête une voiture contenant une grande cassette que deux hommes ne peuvent soulever. Malgré l'assertion du conducteur, on croit qu'elle contient du numéraire et on la dépose chez le trésorier avec une sentinelle. Quelques jours plus tard, Louis de Narbonne la fait réclamer ; elle appartenait à sa mère attachée aux princesses émigrées. Le serrurier Deschamps l'a, du reste, ouverte et on n'y a trouvé que des objets à l'usage de ces dames.

C'est le 15 mars qu'est effectuée l'expulsion des RR. PP. Récollets. Avertis le mois précédent que la maison allait être mise en vente, le P. Gardien avait demandé quinze jours pour prendre ses arrangements. Le moment est arrivé pour ces humbles religieux de se séparer. Le frère Michallon déclare ne pouvoir partir à cause de sa caducité. On rassemble tout ce qui a quelque valeur dans la sacristie qui est scellée. Le procès-verbal est signé de Coche, maire, Bergeron, Chaton, Rulat, Picot, Chevallier, procureur (*).

(*) Voici les noms des religieux qui composaient cette maison en 1790 : Mathieu Declef, en religion P. André, né le 23 août 1744, profès le 3 mars 1761, était gardien du couvent. Il fixa sa retraite à Saint-Didier-de-la-Tour, où nous le retrouverons.

Claude-François Hudelot, en religion P. Fulgence, né dans le diocèse de Besançon le 17 décembre 1738, profès le 16 février 1759. Il établit sa résidence à Montagneu, où il était connu depuis vingt ans.

Jean-François Michallon, en religion P. Eugène, né à Tence en Velay, le 13 septembre 1741, profès le 26 août 1762. Ces trois religieux optèrent pour la vie privée, comme l'avait permis le Saint-Père pour les religieux qui ne pouvaient rester en communauté.

Pierre Michallon, en religion frère Grégoire, né le 31 août 1713, profès le 2 juillet 1736, opta aussi pour la vie privée et continua de résider à la Tour-du-Pin où il vécut encore quelques années. (R. P. Apollinaire, Etudes franciscaines sur la Révolution).

En avril, arrive la nouvelle de la mort de Mirabeau, le fameux tribun ; le procureur dit en assemblée « que cette nouvelle répand la consternation dans les individus ; que sa mémoire doit engager cette municipalité à rendre les devoirs dus aux mânes de cet illustre représentant. » On décide qu'un service solennel sera célébré dans l'église paroissiale, au jour choisi par M. le curé.

La semaine précédente, on avait chanté un Te Deum « pour le rétablissement de la santé du roi et pour la conservation de jours si précieux à la France ».

C'est le 27 avril 1791 que furent définitivement acquis par la commune les bâtiments des religieux Récollets. Bientôt on commença les réparations pour loger d'abord les administrateurs du Directoire.

MM. Bergeron, officier municipal, et Chapuis, curé, sont désignés pour mesurer les clos et bâtiments, et pour fixer l'emplacement de la place publique (*).

(*) Il existe ici une fâcheuse lacune dans nos archives. Les délibérations des mois de mai, juin et commencement de juillet, manquent. Celle du 7 juillet concernait la constitution de la Société des Amis de la Patrie. Une autre délibération portait sur l'actif et le passif de la commune ; sur la découverte des titres de créances sur les Etats du Roy. Une autre contenait l'état des citoyens du canton.

Le 14 juillet 1791 ramène le grand anniversaire. Donnons encore un exemple du style de l'époque. Le procureur prend la parole : « Enfin, nous sommes arrivés à ce jour heureux, ce jour tant désiré par les bons citoyens, et marqué par le décret de l'auguste Assemblée nationale pour célébrer le premier anniversaire de notre liberté et réitérer le serment qui doit à jamais nous attacher à notre sainte Constitution, la défendre, la soutenir jusqu'à notre entière extinction contre les vils ennemis, que d'anciens préjugés révoltants et injustes, et de méprisables intérêts lui ont fournis. Mais le Rémunérateur éternel nous a imparti des forces corporelles au-delà de notre attente, et des sentiments dignes de notre grandeur : nous n'avons plus rien à craindre d'eux. »

« Empressons-nous de célébrer cette fête ; nos frères, les municipalités à côté de celle-ci s'empressent de se joindre à nous ; joignons-nous à eux, mettons-les dans notre sein et allons de concert à cette respectable cérémonie. »

M. Douillet, aumônier, célèbre la messe dans la prairie de Praille, au bruit du tambour et des canons. Le serment est prononcé par M. Revier, président, de MM. les Administrateurs : « Nous jurons d'être fidèles à la nation et à la loi ». Ensuite on se retire au son des tambours et des violons, et aux salves des canons. La dépense fut de 33 francs. Léopold Gras est accepté comme maître d'école, aux mêmes conditions qu'auparavant : 120 francs et la jouissance de l'appartement destiné aux écoles dans la maison commune. Il exigera le même taux qu'auparavant des élèves de lecture, d'écriture, d'arithmétique et de latin, et instruira aussi gratis quatre pauvres pour lesquels il exigera la fondation annuelle de Chapuis.

L'on n'avait pas encore osé confisquer la belle maison de Mme de Vallin ; elle faisait bien des envieux. Voici le texte d'une pétition rédigée avec emphase pour réclamer ce qui avait été récemment accordé :

« Considérant que sous le règne du despotisme de fatale mémoire, où les grands mangeaient les petits, et s'ils ne les mangeaient pas tout vifs, ils leur faisaient d'autres maux aussi funestes, selon leurs caprices et leurs ambitions. La Tour-du-Pin est certainement le lieu de la France qui en ait senti le plus les preuves de la part de la ci-devant haute et très puissante dame Gabrielle Musi née Vallin ...»

Tout cela est pour revendiquer la possession des chemins que Mme de Vallin avait acquis récemment sans réclamation. Les motifs allégués sont, du reste, des plus plausibles et édifiants. « Il est notoire, continue le texte, que, de temps immémorial, il existait plusieurs chemins qui, de la rue Bourbre conduisaient en droiture vers l'ancienne halle et l'église paroissiale, et qu'il n'y a tout au plus que quinze ans que cette dame s'empara de tous ces chemins pour les enclore dans ses possessions. Outre le tort fait au commerce du quartier de Bourbre, cette interruption oblige à de grands circuits pour se rendre aux offices de la paroisse et empêche les prompts secours spirituels dus aux malades. Dans ces chemins, elle a fait placer des portes, c'est là une des marques insultantes de la souveraineté qu'elle exerçait dans la cité. »

La municipalité, faisant droit à ces réclamations, nomme MM. Bergeron et Chapuis, curé, pour la prévenir elle ou son agent. Mme de Vallin fit répondre par ce dernier qu'elle avait cru, en acquérant les baraques et jardins, acheter les chemins, sans quoi elle n'aurait pas fait de si grandes dépenses pour s'enclore. Elle fut sommée de remettre les lieux en leur état. Il y avait là matière à un long procès, mais la loi sur ou plutôt contre les émigrés vint finir cette affaire : « autrement, disait le procureur en décembre 1792 dans son rapport à la nouvelle municipalité, autrement le procès se serait tourné contre la nation. » Mme de Vallin était du reste, la seule émigrée lorsque parut la loi. Son agent déclara, à ce moment, ne pouvoir fournir l'état de ses revenus, les livres ayant été brûlés.

En attendant, l'argent faisait de plus en plus défaut, on ajoute 1,800 livres aux impositions de la présente année, et, pour remplacer le produit de l'octroi (une loi avait supprimé tous les octrois), on vendra la maison commune.

La ville commençait donc à se débattre contre le manque d'argent. On n'en fait pas moins chanter un Te Deum à l'église, le 25 septembre ; c'est que le roi a accepté la Constitution. Il est vrai que la cérémonie ne se fit que sur l'ordre du Directoire ; car, à vrai dire, on commençait à se lasser du nouvel ordre de choses. En vain, le procureur tâche-t-il de réchauffer l'ardeur de la municipalité : « on n'aperçoit de toutes parts, s'écrie-t-il mélancoliquement, qu'indifférence pour la chose publique. » Dans la même séance, on propose d'utiliser la partie nord du canal, en pratiquant un chemin qui irait de la grande route à la place de Bourbre. On avait commencé les travaux pour la transformation du bâtiment des Récollets. Sur les réclamations du quartier, on avait d'abord décidé de garder dans l'église la chapelle de Notre-Dame de Pitié pour y avoir une messe au moins les dimanches et fêtes. Le procureur propose de conserver plutôt le chœur et de faire de la petite chapelle un logement pour corps de garde : le tableau pourrait se placer dans l'église (*). Par la même occasion, on décide de demander un deuxième vicaire, qui fut sans doute accordé, car trois semaines après, nous voyons l'abbé Gabriel Perrin prêter, à l'issue de la messe paroissiale, le serment très explicite d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, de maintenir la Constitution du royaume, notamment la Constitution civile décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi (**). »

(*) Il est question sans doute ici du fameux triptyque, aujourd'hui le joyau de la superbe église neuve, où il se trouve malheureusement relégué dans la sacristie, n'ayant pu trouver dans l'église une place convenable. Il représente, en effet, Notre-Dame-de-Pitié, puis, sur un des volets, saint Jérôme, auquel était dédié le couvent des Récollets. (**) Cela ne lui suffit point pour lui concilier les bonnes grâces de sa municipalité ; car, en février suivant, nous la voyons répondre à sa demande du logement que cela ne la regarde pas, qu'elle se trouve dépourvus d'appartements convenables à un vicaire « Les curés, disent les municipaux, reçoivent leur traitement et leur logement de la nation, depuis la loi d'octobre 1790 ; il doit en être de même des vicaires, en conséquence, M. l'abbé Perrin pourra se pourvoir comme bon lui semblera. »

Pendant ce temps, les communes de Saint-Jean, Roche et Montceaux se réunissent de nouveau à la municipalité de La Tour-du-Pin. Il faudra donc refaire les élections. Il est décidé aussi que l'on numérotera les maisons : chacun mettra à ses frais le numéro qui lui sera présenté.

Le mois de novembre fut fort agité : l'horizon politique s'assombrissait et l'invasion étrangère paraissait imminente. Déjà la municipalité avait donné des ordres réitérés pour le service de la garde nationale, elle avait acheté de la poudre, 300 livres de balles et 26 fusils de calibre qui, avec les 5 fusils et les 38 piques que fournit le Gouvernement, formaient tout son armement. Pour défendre la frontière menacée, La Tour-du-Pin fit appel au patriotisme de ses enfants. Chaque arrondissement devait fournir un bataillon de volontaires. La ville fut envahie par 6 ou 700 gardes nationaux volontaires, dont la discipline laisse fort à désirer. Il faut prendre un arrêté pour défendre aux cabaretiers de donner à boire à ceux qui sont déjà ivres ; on a peine à faire partir ceux qui ont été réformés. Les 300 lits réquisitionnés un peu partout sont déjà absolument hors d'usage.

Ce fut le 13 novembre qu'eut lieu la formation du bataillon sous la direction de MM. Bizannet et Varnet, commissaires du département. Il se compose de 900 hommes. L'élection des officiers et sous-officiers eut lieu dans la « ci-devant église des Récollets » et la revue en fut passée dans la prairie de Praille. Ce bataillon fut plus tard incorporé dans la 57e demi-brigade à laquelle sa bravoure valut le surnom de Terrible.

M. Bizannet, plus tard général, en fut nommé commandant. La compagnie fournie par le canton de La Tour-du-Pin élut pour son capitaine M. Duvivier, qui s'était retiré de son couvent au château de Cuirieu depuis 1789 (M. Duvivier fut chef d'escadron sous l'Empire), pour lieutenant M. Ollivier et pour sous-lieutenant M. Gaget, de Coiranne. M. Bouquin fut nommé quartier-maître du bataillon.

Le 20 novembre, on procède aux nouvelles élections : le premier dimanche est absorbé par la nomination des scrutateurs et du président, qui est encore le curé Chapuis. Le dimanche suivant, M. l'abbé Bergeron est élu maire, à la place de Coche qui a refusé ; officiers municipaux : MM. Chalon, Picot, médecin, Joseph Chapuis, Cliet, Antoine Chambattit fils et Georges Tardy. Avec eux sont élus dix-huit notables. Claude Chevalier sera procureur.

En fin décembre, Bergeron donne l'état de tous les habitants domiciliés dans le territoire de cette municipalité. Nous n'avons malheureusement pu en retrouver les traces.

1792

Dès janvier, le budget est préparé et discuté. Nous y voyons encore figurer la dépense de 11 livres pour le cierge pascal de La Tour-du-Pin, de tout temps fourni par la commune, ainsi que 9 livres pour chacun des deux cierges de Saint Jean et de Toirin. On prévoit aussi des réparations à ces trois églises, et 250 livres pour l'horloge. « L'horloge est infiniment ancienne, lisons-nous dans la délibération ; nous n'avons pas l'époque de son établissement ; son dôme tombait, on fut forcé de descendre le timbre et de l'abattre depuis bien des années ; on fit battre l'horloge sur la grosse cloche ; la distance est de toute la longueur de l'église (le clocher se trouvait en effet au-dessus du chœur). »

Le procureur se plaint de ce que aucun citoyen ne s'est fourni de patente, comme l'exige la loi.

On a décidé l'installation d'une maison de force ou prison. En attendant, on se servira de deux pièces de l'ancienne maison commune que la municipalité vient de vendre à M. Bergeron, maire.

19 mai. Les administrateurs, assistés de Chalon et Picot, commencent l'inventaire du mobilier de la maison de la « veuve Vallin (*) ».

(*) A propos de Mme la comtesse de Vallin, née Gabrielle de Musy, nous saisissons sur le vif la gradation ou plutôt la dégradation des idées et du langage dans cette époque troublée : c'est d'abord «Madame la comtesse de Vallin, puis la comtesse de Vallin, puis Madame de Vallin, puis Madame Vallin, la veuve Vallin, et plus tard ce sera tout court « la Vallin » !

Le même jour, le 8° bataillon d'infanterie légère venait loger à La Tour-du-Pin. Des rixes ne tardèrent pas à s'élever entre l'habitant et le soldat peu discipliné. « Désirant que l'ordre soit mieux observé », le conseil arrête que chacun de ses membres fera la police dans son quartier, à savoir : le maire, depuis la maison du lanternier jusqu'à celle de Joseph Levieux, dit Frechet ; Chapuis, de chez lui dans tout le quartier de Bourbre jusqu'à la maison Pignaud ; Cliet tout le quartier de l'hôpital ; Challon (il signe avec deux l) le quartier du four, depuis la maison du sieur Perroncel de Vignieu jusqu'à celle de Pignaud ; Picot, depuis chez Lorose, la rue à droite et à gauche jusqu'à la poste, la maison Prunelle comprise ; Tardy, le quartier de Labbe, depuis la maison Prunelle jusqu'à celle d'Arnaud Blanc.

La garde redoublera aussi de rigueur pour arrêter tous les voyageurs à pied, à cheval et en voiture, et visiter leurs passeports. Quelques jours après, elle arrêtait deux hommes qui conduisaient par la voie de l'Estra une voiture avec une caisse contenant 24,000 francs.

La délibération du 6 juin 1792 est consacrée à préparer la célébration de la Fête Dieu pour le lendemain avec « la splendeur que le culte commande » Toutes les autorités ainsi que la troupe y prendront part.

De même pour les prières publiques que « M. l'Évêque du département » a prescrites.

Le 7 juillet, a lieu la plantation solennelle de l'arbre de la Liberté, au centre de la nouvelle place ; il est peint aux trois couleurs et surmonté du bonnet phrygien. Les trois canons prêtés à la municipalité ont été réparés et « le patriotisme des citoyens et citoyennes de la garde nationale a été porté au plus haut point ».

La fête du 14 juillet fut plus solennelle encore. Les gardes nationales de tout le district sont représentées. Dès le matin, des fédérés arrivent de tous les côtés ; le cortège militaire s'est formé en ordre sur la grande route, précédé des trois pièces de canon auxquelles on en a ajouté deux de Virieu ; au passage, se joignent à lui le Directoire et la municipalité etc., et tous se dirigent vers le Champ de Mars, où l'autel de la Patrie a été élevé. La messe commence à midi, accompagnée des airs joués par la musique d'un bataillon du régiment de garde arrivé depuis quinze jours. Les discours se suivent, prononcés par Comte et Doncieux, président et secrétaire du Directoire du district.

Le 21 juillet, on reçoit l'arrêté du Corps législatif déclarant la patrie en danger. On convoque, dès le lendemain, le Conseil général de la commune, qui décide qu'il y aura toujours sept de ses membres en permanence. On fera le recensement des armes dans la ville et dans la campagne et on se tiendra prêt à marcher. Il faut se défendre aussi contre les ennemis de l'intérieur ; ainsi Jacques Ginet, officier municipal de Saint-Jean-de-Soudain a été volé et poignardé dans la nuit par une troupe de brigands. Tous les jours il y a des vols, des dégâts. Il faut prendre des mesures. On ouvre aussi un registre pour recevoir les engagements volontaires, la taille réglementaire est de cinq pieds.

Pour faciliter les échanges des assignats de 5 livres, on avait décidé l'émission de « billets de confiance » jusqu'à concurrence de 4,000 livres : 12,000 billets à 5 sols rouges au dos et 8,000 à 2 sols 6 deniers jaunes au dos.

Les cultivateurs ne veulent vendre leur blé que contre beaux écus, et pourtant le pain manque au camp de Cessieu. II manquera même bientôt dans la ville ; le 16 août, il y eut des rixes à la porte des boulangers. On les obligera à se tenir fournis, et la livre de pain blanc sera payée 5 sols 3 deniers. Les gros fermiers qui mènent presque tout leur blé au Pont-de-Beauvoisin seront invités à le vendre ici le mardi, jour de marché.

Cependant la permanence du Conseil décrétée par l'Assemblée nationale n'est plus observée. Le procureur tâche de réveiller le zèle par quelques phrases bien senties. « Par un relâchement inconcevable, dit-il, les comités permanents du Conseil général da la commune ne tiennent plus de séances, tandis que dans le moment où toutes les tempêtes grondent sur nos têtes, il faudrait toujours être dans la plus grande activité et ne pas demeurer dans l'assoupissement, lorsque la nation entière se tient debout. » Vains efforts, c'est à qui se dérobera à ce devoir.

Dès les jours suivants, les six bureaux qui doivent se succéder fonctionnent incomplets ; le 24 août Tary est seul à la Permanence ; il couche sur le registre que « le temps lui dure et qu'il s'en va laissant les choses dans le même état, il est midi, je m'en vais pour dîner ». Il fallut suspendre la Permanence (on la reprit au 25 avril 1793).

L'ardeur n'était pas plus grande pour la garde nationale ; le commandant Olivier se plaint de ses hommes. Est-ce insouciance, est-ce insubordination? Il ne sait, mais le corps-de-garde est toujours vide. « Cette garde est inutile, dit l'un. Je n'ai pas le temps, répond l'autre ». On essaya d'abord de condamner les délinquants à une taxe équivalent à deux journées de travail. On songea ensuite à former un second bataillon. Enfin par une mesure plus pratique, on décida de demander des hommes aux deux compagnies de chasseurs de l'Ardèche, alors cantonnées à La Tour-du-Pin.

Cependant une loi votée le 16 août 1792 condamnait à sortir du royaume les prêtres qui refusaient de prêter le serment. La Tour-du-Pin fut sillonnée par ces vénérables proscrits dont quelques-uns faiblissent alors qu'ils se voient sur la point de franchir la frontière qui doit les séparer de la patrie. C'est ainsi que le 23 septembre, Gilbert Cantal, prêtre insermenté de Moulin, en route pour la Savoie, demande à être admis à prêter le serment civique « à condition de retourner dans sa famille pour y vivre en bon prêtre et en bon citoyen. » La nouvelle de l'occupation de la Savoie par nos troupes influa peut-être sur cette décision.

D'autres cependant ne se laissèrent pas effrayer par la perspective d'un nouvel itinéraire : neuf membres du clergé font signer leur passeport pour Morestel au lieu du Pont-de-Beauvoisin, pour se diriger de là sur Genève (*).

(*) C'étaient Denis Benoit, Joseph Thevenin, François Gauthier, prêtres, Jean-François de la Villenne, clerc tonsuré, tous quatre de I'Allier. François Deshoulières, Gilbert Mariat, Guillaume Barbès, du Puy-de-Dôme. Durand Charbonnel et Joseph Seveyrac, de la Haute-Loire.

Le clergé de la région fut moins résistant : le 3 octobre, nous voyons prêter le serment par Chapuis, curé, et Gabriel Perrin, son vicaire, François Guerin, curé de Saint-Jean-de-Soudain (né à Briançon, fut exécuté à Lyon, le 29 pluviôse an II ; il avait 50 ans), Georges-Balthazar de Gumin, prêtre, résidant à Toirin, Philippe Querenet, prêtre, et Antoine Bron, curé de Roche-Toirin. Le serment exigé est, du reste, assez anodin : « je jure d'être fidèle à la nation et de maintenir la liberté et l'égalité ou de mourir en les défendant. » Il n'y est plus question du roi ; l'abolition de la royauté ayant été prononcée le 21 du mois précédent (*).

Les fonctionnaires prêtent ensuite le même serment, et tous répètent la même cérémonie le dimanche suivant 7 octobre sur la place au pied de l'arbre de la Liberté (**).

(*) Ce serment dit de liberté-égalité était pitoyable dans ses termes, mais ne renfermait pas d'impiété formelle. Plusieurs évêques ne crurent pas devoir le condamner ; les prêtres de Saint-Sulpice crurent pouvoir le prêter ; une lettre du cardinal Zelada recommanda de ne pas inquiéter ceux qui l'avaient prêté. L'archevêque de Vienne, dont la Tour-du-Pin dépendait, condamna ce serment sans miséricorde et frappa de censures ceux qui le prêteraient ou ne le rétracteraient pas. L'évêque de Valence adopta la même sévérité. De l'avis d'esprits éclairés, ils eurent tort, dépassant à la fois leurs attributions et les lumières d'une saine doctrine. Nul n'a le droit d'être plus sévère que l'Eglise. (voir R.P. Apollinaire, Etudes sur la Révolution).
(**) Sont nommément désignés les curés Chapuis, Guérin et Bron, ainsi que de Gumin. 2 mars suivant, Jacques Chapuis, curé de Montceaux, malade en sa maison de la Tour-du-Pin, prête le serment chez lui entre les mains de deux délégués. La municipalité embrassait alors quatre communautés : La Tour, Saint-Jean, Toyrin et Montcarra, qui appartenait à la paroisse de Saint-Chef.

La veille le curé Chapuis, préposé à la vérification des paquets et lettres venant de l'étranger, donne sa démission, parce que son vicaire, qui partageait avec lui le service de la paroisse, venant d'être élu curé de la Chapelle, il devra consacrer tout son temps à la paroisse.

Ce n'est que le 11 novembre que le conseil général se transporte à l'église, où le maire après la messe, donne lecture du décret de la Convention qui déclare la royauté abolie ; même lecture est faite ensuite sur les deux places publiques.

Cependant les conséquences du gaspillage public commençaient à se faire sentir : « Auparavant la communauté de la Tour-du-Pin ne supportait qu'un impôt mobilier de 1,300 livres ; celui de 1792 monte à 4,957 livres 11 sous 5 deniers pour la commune, et à 7,382 livres 7 sous 3 deniers pour toute la communauté. » On trouvait la liberté un peu chère ; il faut délibérer « pour apaiser les plaintes du peuple à cet égard et tâcher d'obtenir une diminution ».

La contribution foncière de 1791 surpassant 26,800 livres était déjà au-dessus de ses forces. On évalue le revenu net à 80,640 livres. La communauté est donc surchargée du tiers de ce qu'elle devrait supporter.

On se souvient des mandats de confiance qui avaient été émis par la municipalité pour faciliter les transactions. La contrefaçon qui s'exerçait sur les assignats les a aussi atteints. On se décide en décembre à les retirer dans l'espace de deux mois, après lesquels ils n'auront plus cours. Cette décision est affichée le dimanche suivant, à l'issue de la messe paroissiale.

Bientôt on fait de nouveau appel aux électeurs pour renouveler la municipalité et le conseil général de la commune. Voici les noms des nouveaux élus : François Ballet, maire, Antoine Chambattit, Antoine Garnier, Joseph Guillon, Georges Tardy, François Perroncel, Joseph Pascal, aîné, Joseph Chapuis, Guillaume Berger, officiers municipaux ; Philippe Querenet procureur de la commune ; Bron, curé de Toirin, André Jean, François Cornillon, Pierre Allex, Louis Bergeron, André Picot, Cl. Chevallier, Antoine Cliet, François-Catherin Chapuis, curé, Joseph Lanet, André Sambin, Alexis Rodet, Christophe Thevenet, Louis Couillioud, Georges Guerrit, Antoine Ollivier, Guérin, curé de Saint-Jean, Mathieu Gentil notables.

Le procureur Querenet échange son mandat contre celui d'officier municipal avec Joseph Pascal, nommé procureur. Georges Guerrit, notable, refuse aussi et est remplacé par Benoît Chalon.

Telle est là nouvelle municipalité qui va traverser l'époque la plus agitée de la Révolution. L'ancien procureur Chevallier la met au courant de la situation dans un rapport de quarante articles et elle prête serment sous la formule : « Je jure d'être fidèle à la nation et à la loi, et de maintenir la liberté et l'égalité, et de mourir à mon poste en les défendant. »

Pour ne pas abuser de votre attention, j'arrête là, Messieurs, cette lecture qui demande une suite. Sans doute je ne vous ai appris rien de bien nouveau ; sans doute ce n'est point là de la grande histoire ; mais la grande histoire se compose aussi de petits faits, comme la grande patrie se compose d'une multitude de bourgs et de villages : et puis, je suis heureux d'avoir rempli envers mon pays ce devoir de piété filiale. Les souvenirs se perdent, les traditions s'en vont ; dans notre vie pressée, nous n'avons même plus le loisir d'écouter les longs récits des vieillards qui ont vu les témoins de ces événements. Il est donc bon de rappeler à notre génération oublieuse quel retentissement eurent dans les moindres villes les convulsions de cette époque si troublée. Il faut aimer à lire nos glorieuses annales nationales, mais il est permis aussi à chacun d'étudier de plus près l'histoire de sa petite patrie.

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