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Élevage et embouche en Charolais-Brionnais

Source : Michel Sivignon, revue Géocarrefour, vol. 35, n° 4, p. 357-379 (1960)

Taureau charolais Vache charolaise

Taureau charollais et vache charollaise, cliquez pour agrandir

Résumé : L'embouche, activité la plus caractéristique du Charolais-Brionnais, est pratiquée suivant des méthodes très anciennes, proches du nomadisme pastoral. S'y ajoutent quelques cultures et surtout l'élevage des reproducteurs et des veaux de boucherie. Élevage et embouche sont deux spéculations extensives, de faible rendement technique et financier. Pour pallier ces faiblesses, ces exploitations d'embouche se mettent à faire aussi de l'élevage de jeunes animaux et les exploitations d'élevage embouchent les bêtes qu'elles font naître. Une autre tendance est le développement des prairies temporaires.

Introduction

Les activités de l'élevage bovin, élevage étant entendu dans son acception la plus large, confèrent au Charolais-Brionnais sa personnalité. La sage monotonie du vert des prés succédant au vert des prés, les fantaisies des haies de prunelliers barrant les vallons, quelques piquets entourant une mare, les taches blanches des troupeaux : ces paysages sans imprévu, se retrouvent dans d'autres régions de la bordure septentrionale du Massif Central. Mais l'on n'y connaît guère cette domination absolue de l'herbe.

Dans le centre du Brionnais, quatre communes ont plus de 90 % de leur superficie en herbe.

Autour de ce noyau, la densité des herbages est moins forte dans les vallées de l'Arconce et de la Bourbince, puis diminue progressivement vers les marges. Marges peu précises. Nous nous occuperons essentiellement du Charolais à dominante liasique, sans nous interdire toutefois quelques incursions dans la région à dominante granitique, les deux étant au demeurant fort enchevêtrés sur la carte géologique. Nous nous proposons d'examiner le pays que l'on qualifie communément d'emboucheur, par opposition aux pays « naisseurs » qui l'entourent.

I. - Les activités agricoles traditionnelles du Charolais-Brionnais

L'Embouche traditionnelle

a) Ses techniques

L'activité de l'embouche, c'est-à-dire de l'engraissement des bovins au pré a fait au Charolais-Brionnais sa réputation de richesse, de bon pays où le paysan gagne gros sans se donner trop de mal.

L'embouche se fait en Charolais-Brionnais entièrement au pré. La méthode est simple dans son principe. Il s'agit de calculer la quantité d'herbe disponible dans un pré, d'y mettre le nombre d'animaux qui convient, puis d'en ajouter ou d'en retrancher suivant la pousse de cette herbe. Méthode très empirique donc où l'emboucheur doit utiliser au mieux les prés dont il dispose en tenant compte des qualités et défauts des animaux qu'il a à emboucher.

L'emboucheur ayant acheté ses animaux à la fin de l'hiver les met au pré avant la première pousse, qui se produit ordinairement vers la mi-avril mais dont la date varie selon la nature du sol, et l'exposition du terrain. Les animaux doivent alors se nourrir du « bourrage », c'est-à-dire de l'herbe sèche qui subsiste de l'année précédente.

On laisse en effet toujours un peu d'herbe sur le pré en fin d'année en Brionnais pour que les animaux puissent s'en nourrir au début de l'année suivante, coutume que déplorent les agronomes car cette herbe n'a plus les mêmes qualités nutritives.

La période la plus délicate pour l'emboucheur est celle de la pousse car il lui faut empêcher l'herbe de dépasser la hauteur de 15 cm environ. Plus l'herbe pousse vite, plus il faut la tenir court. Lorsque l'herbe a tendance à « s'emballer » la solution est de rajouter quelques animaux. C'est là la ressource essentielle de l'emboucheur, recette simple d'ailleurs mais d'application malaisée : comment deviner le moment propice où il faut rajouter des bêtes ; comment savoir le nombre de bêtes qu'il faut rajouter ?

De plus, cette méthode est parfois insuffisante. Ce sont toujours les mêmes coins qui « montent » les premiers, parce qu'ils sont plus sains ou plus précoces, qu'ils ont été spécialement fertilisés par le troupeau. Ces parcelles doivent alors être fauchées car même en rajoutant des animaux on n'arrive pas à les faire pâturer.

Les « refus » sont une autre source de difficultés : touffes d'herbes que les animaux refusent de paître, ils poussent sur les meilleurs prés. On doit les couper car les animaux les mangent volontiers quand ils ont séché quelques heures au soleil. Avant 1914, tous les refus se coupaient à la faux et comme on disposait d'une main-d'œuvre abondante, cela se faisait en temps voulu (au début de juin). Puis le manque de personnel fit qu'on ne les coupa plus mais qu'on chargea inconsidérément ces prairies pour pâturer ces refus, méthode qui détériora les prés. Puis les emboucheurs se mirent - opération sacrilège - à faire le travail à la faucheuse.

Après que l'emboucheur a « chargé » son embouche, au moment du « coup de pousse » de mai et juin, l'herbe croît beaucoup moins vite. Il faut alors décharger progressivement l'embouche afin que les animaux aient tous assez de nourriture. Pour cela, une seule solution : vendre les animaux gras.

Il est donc nécessaire que tous ne le soient pas en même temps, et qu'en avril on ait commencé par « herber » les plus précoces, ceux qui s'engraissent le plus vite. Il faut aussi que l'emboucheur ait pris soin de réunir sur une même embouche des animaux de précocité différente. On évite cependant de rassembler sur une même prairie bouvillons et génisses car les génisses seront grasses les premières et après leur départ, les « châtrons » chercheront à s'échapper.

Survient la sécheresse d'été, souvent très marquée. Il se produit parfois une seconde pousse d'herbe en août et on peut alors recharger les prés, avec moitié moins de bétail toutefois qu'au printemps.

La croissance de la végétation progressivement s'arrête et on vend donc progressivement les animaux. On rentre ceux qui restent - vaches laitières, animaux jeunes - quand l'état des herbages et les conditions atmosphériques l'exigent.

Tel est l'essentiel de la technique traditionnelle de l'embouche charolaise. On voit donc que la véritable prairie d'embouche n'est jamais fauchée.

L'emboucheur dispose cependant de prés de fauche, sur des sols plus secs, calcaires, qui furent autrefois plantés de vignes. Ces prés sont la plupart du temps pâturés un peu au printemps par des bêtes jeunes qu'on laisse ici et à qui on apporte un peu de foin en attendant que l'état des embouches permette de les recevoir. Ces prés « de dépôt » sont ensuite fauchés.

Jamais fauchée, une embouche véritable n'est jamais non plus labourée. Les meilleures embouches du Brionnais sont sans doute en herbe depuis deux siècles. De l'avis des emboucheurs, un bon pré est très difficile à refaire : une bonne prairie d'embouche doit posséder un tapis herbeux épais et homogène, qui fait défaut à la prairie ressemée sur labour.

Cependant toute prairie d'embouche réclame des soins dont l'absence entraîne rapidement sa dégradation. En hiver, il faut procéder à l'arrosage des prés proches des rivières, creuser des rigoles. L'entretien des clôtures, la taille des haies se font aussi à cette époque. Les haies vives font en effet partie intégrante du paysage, composées d'aubépine sur les terrains argileux, d'épine noire sur les sols plus légers. Beaucoup ont sans doute été supprimées durant ces dernières décades pour agrandir les prairies, mais leur utilité comme abri n'est niée par personne.

L'été a lui aussi son cortège d'activités : coupe des chardons en particulier, plante caractéristique des bonnes prairies, qu'il faudrait couper jeunes à la pointe de la faux, ce qu'on fait de moins en moins, faute de main-d'œuvre.

L'énumération de ces travaux ne doit cependant pas nous leurrer sur l'importance du labeur qu'ils demandent. On voit plus souvent l'emboucheur appuyé sur son bâton et examinant son troupeau, que maniant la pioche ou la serpe. L'emboucheur jouit d'ailleurs auprès des paysans moins favorisés des régions voisines d'une solide réputation de « feignant ».

L'essentiel des techniques de l'embouche réside dans le coup d'œil de l'exploitant, dans son habileté à saisir le moment où il doit mettre ses bêtes dans un pré ou les en retirer. Travail fort peu manuel donc et qui explique la place à part de l'emboucheur dans l'ensemble de la masse paysanne. Le cas de l'emboucheur n'est pas sans analogie avec celui du vigneron, dont l'activité est également en marge de l'agriculture.

Mais la singularité du métier d'emboucheur vient davantage encore des liens de la profession avec le commerce.

b) Aspects commerciaux de la profession

Si l'on examinait l'emploi du temps d'un emboucheur pendant une année, on verrait qu'il passe largement autant de temps en déplacement à la recherche de bêtes maigres ou sur les foires à vendre ses animaux gras, que chez lui à diriger son exploitation.

L'achat et la vente des animaux sont pour l'emboucheur une opération essentielle.

1) Choix des animaux destinés à l'embouche.

C'est à l'achat du bétail maigre qu'on reconnaît le bon emboucheur. C'est à l'achat qu'il lui faut deviner ce que deviendra l'animal.

L'achat se faisait autrefois sur les champs de foires. Mais ces foires de bétail maigre ont perdu toute leur importance. Il en reste quelques-unes par an, à la périphérie du Charolais, où l'on se rend d'ailleurs plus pour « faire des connaissances » que pour y voir du bétail. C'est l'usage de l'automobile qui les a tuées en permettant à l'emboucheur d'acheter chez l'éleveur même, où il peut se rendre compte des qualités des géniteurs, car il « visite » souvent les mêmes étables plusieurs années de suite, et de l'alimentation du bétail (les emboucheurs préfèrent les bêtes nourries au foin et à la paille, qui engraissent plus rapidement sur le pré, à celles à qui on donne des tourteaux et des betteraves).

L'emboucheur doit choisir des animaux qui conviennent à la qualité de ses prés : sur telle embouche les bêtes jeunes prennent rapidement du poids, alors que sur une autre il faut des animaux plus âgés. Il doit aussi deviner l'aptitude à l'engraissement de l'animal ; « afin de pouvoir calculer le prix d'achat maximum de chaque sujet, l'herbager doit savoir le nombre de kg que prendra telle bête, sur tel pré, pendant un temps donné, dans des conditions climatiques moyennes » [1].

Cette opération subtile doit s'apprendre très jeune : toutes les fois qu'il peut, l'emboucheur se fait accompagner de son fils dans ses tournées d'achat. Ces tournées d'achat se font en automobile. Il arrive souvent que plusieurs emboucheurs se groupent pour aller visiter ensemble une série de fermes. Le périmètre d'achat n'est plus limité aux Monts du Charolais où le nombre des bêtes maigres disponibles a beaucoup diminué. Il s'est étendu comme l'aire de la race bovine charolaise : Bourbonnais, Nivernais, Berry même.

L'emboucheur fait donc son choix en examinant la morphologie de l'animal qui présente des traits favorables ou défavorables dont il fait spontanément la synthèse.

Cette perspicacité, ce coup d'œil sont également nécessaires dans la vente du bétail gras, pour des raisons analogues.

2) Vente du bétail gras.

Deux questions se posent à l'emboucheur : à quelle date faut-il vendre, et quels animaux vendre ?

Le manque de nourriture dû à la sécheresse peut contraindre l'emboucheur à vendre prématurément, ou la menace de quelque épizootie (fièvre aphteuse). Cependant, mis à part ces cas exceptionnels, l'emboucheur vend quand il juge que son bétail est à point et il tient compte pour cela, comme il l'a fait à l'achat, de la morphologie de l'animal.

Mais il est bien évident que d'autres raisons relevant de l'état du marché de la viande peuvent être contraignantes. L'emboucheur exprime cette nécessité quand il dit que « l'herbe n'est pas toujours payante ».

Par là l'emboucheur est un commerçant, toujours au fait des cours pratiqués à Lyon et à Paris, attentif à saisir la tendance du moment et à l'exploiter au mieux de ses intérêts.

3) Le recours au crédit.

Le recours au crédit, habituel chez les emboucheurs renforce les analogies entre l'activité de l'emboucheur et celle du commerçant.

Depuis fort longtemps, M. Labasse l'a montré [2], la fréquentation de la banque est coutumière à l'emboucheur. L'emboucheur a en effet de gros débours à faire au début de l'année, lors de l'achat des animaux. La banque, compte tenu des qualités de son client (fortune, réputation) et de l'étendue de ses prés, fixe un plafond de crédit et au fur et à mesure de ses achats, l'emboucheur signe des « billets d'embouche » remis à la banque pour escompte et retire le numéraire correspondant.

La durée de ces billets est de trois mois, et ils sont renouvelables trois fois, soit au total neuf mois, la durée de la campagne d'embouche.

Cette pratique du crédit est une nécessité, car l'emboucheur qui achète 50 bêtes au printemps doit débourser au minimum cinq millions. Tout le monde utilise les billets d'embouche dans la région. La majorité des emboucheurs emprunte au Crédit Agricole où les conditions sont un peu plus favorables que dans les banques privées. Mais celles-ci, qui ont été historiquement les initiatrices, ne manquent pas de clients.

La tendance des ces dernières années est cependant de recourir moins souvent au crédit, la conjoncture étant peu favorable et l'emboucheur évitant de rogner son profit par les intérêts à verser au guichet de la banque.

Le système des billets d'embouche n'en reste pas moins un fondement essentiel de la spéculation et témoigne d'habitudes mentales étrangères au monde paysan dans son ensemble.

c) Place sociale de l'emboucheur : les foires

Un emboucheur est un « Monsieur » qui est à la tête de la hiérarchie rurale régionale. Une fortune bien assise est nécessaire pour prospérer dans la profession, à cause des capitaux très importants que demande l'achat des animaux. Mais il faut encore la connaissance du bétail et des prés, qui réclame plus qu'un long apprentissage, l'imprégnation d'un milieu où il est presque indispensable pour réussir d'être né.

Les emboucheurs se refusent à être classés parmi les commerçants. Ils s'affirment paysans, sans doute pour n'être pas tenus pour de vils spéculateurs jouant sur les variations des cours, mais aussi parce qu'ils ont le sentiment que leur métier est près de la terre et des mystères de ses saisons. Et cependant on a pu écrire que l'« emboucheur est un type original de négociant-producteur, pour lequel le premier caractère l'emporte sur le second » [2].

A vrai dire, il y a parmi les emboucheurs des gens qui n'ont guère les mains calleuses et d'autres qui sont sans doute possible des paysans.

Dans la première catégorie se placent ceux qui résident hors de leur exploitation, à Paray-le-Monial ou à Marcigny. Ils ont généralement des relations étroites avec les milieux de la Villette ou de La Mouche à Lyon. Il existe de véritables dynasties où un frère est emboucheur, un second commissionnaire en bestiaux, un troisième boucher en gros, toutes ces professions se recoupant plus ou moins. D'ailleurs nombre d'embouches sont louées par ces maquignons qui y laissent quelques jours ou quelques semaines les animaux qu'ils ont acheté en guettant une occasion favorable pour les revendre. Ceci n'a pas grand chose à voir avec l'agriculture.

Entre ces gens-là et les véritables agriculteurs, toutes les catégories intermédiaires existent et on conçoit qu'il soit difficile de déceler des classes tranchées. Cependant les uns et les autres sont fréquemment unis par des liens nombreux et forment dans une certaine mesure une caste. Les emboucheurs se transmettent de père en fils leur profession et les prés d'embouche ne changent guère de main que par le jeu des héritages. Bon nombre d'emboucheurs brionnais sont de proches parents.

Le foirail est le lieu privilégié où l'on peut observer l'emboucheur dans toute la dignité de ses fonctions. Il faut pour cela se rendre aux deux grands marchés de bêtes grasses de la région : Charolles le mercredi matin et St-Christophe-en-Brionnais le jeudi matin. Seuls dans la région ils gardent de l'importance. La concentration des points de vente du bétail gras s'est opérée à leur profit.

Charolles tend à se spécialiser dans la vente des veaux, porcs, moutons, alors que Saint-Christophe est presque uniquement un marché du gros bétail gras.

Toute la région d'embouche vit autour de St-Christophe. On y vient de très loin et le jeudi matin il est presque impossible de trouver un exploitant chez lui. On règle d'ailleurs sur le champ de foire toutes sortes de marchés qui ne relèvent aucunement de l'embouche. On va à St-Christophe, non seulement pour vendre ou acheter mais pour flairer les cours ou se retrouver entre gens de la même profession.

Les acheteurs viennent de tout le Sud-Est, de Lyon bien sûr qui est depuis toujours le grand débouché mais aussi de St-Etienne, de Grenoble et pendant la saison touristique de la Savoie et de la côte provençale, et cela favorise l'emboucheur car venant de très loin, les marchands ne peuvent se permettre de revenir avec leurs camions vides et sont plus accommodants sur les prix.

Le marché commence à 8 heures et dès le signal donné c'est une véritable ruée sur le champ de foire. Les emboucheurs sont descendus de leurs automobiles imposantes et ont revêtu la blouse bleue ou noire et les bottes. Sur le mur longeant le foirail, on règle les transactions en numéraire, à l'aide d'imposantes liasses de billets, qu'on évalue encore en pistoles (une pistole équivaut à dix francs). Les « gros » de l'embouche, célèbres par le volume de leur portefeuille, trônent là, entourés de la considération générale. Toute cette atmosphère contribue à camper aux yeux du visiteur de passage, une société d'une originalité vigoureuse.

M. Labasse a tenté de délimiter la zone d'embouche. Il est aussi parvenu à tracer un polygone dont les sommets sont situés sur les communes de Génelard, Vendenesse-lès-Charolles, Gibles, Coutouvre, Mably, Chassenard, ce qui franchit sensiblement les limites du Charolais-Brionnais. Mais dans les régions marginales il n'y a souvent dans la commune qu'une ou deux exploitations d'embouche, celles qui possèdent les meilleurs prés, celles qui sont de grande taille et qui choisissent la spéculation la moins exigeante en main-d'œuvre.

L'économie d'embouche est là presque une exception. En Brionnais c'est au contraire la règle.

Tous les Brionnais savent bien que la présence dans leur pays de véritables prairies d'embouche est liée à la nature du sous-sol, aux argiles du lias. Certains emboucheurs vous diront même que c'est l'étage du sinemurien qui donne les meilleures embouches. Il possède en effet des qualités éminentes : le pouvoir de retenir de l'eau en quantité suffisante pour que l'herbe reste drue pendant la saison sèche et une profondeur de fouillement adéquate pour les racines.

Mais un simple coup d'œil sur une carte géologique suffit à montrer que les terrains liasiques ne couvrent qu'une faible partie du pays. L'embouche n'est donc pas la seule activité pratiquée, loin de là.

Les activités agricoles autres que l'embouche

a) Les labours

Bien que la majeure partie du sol soit consacrée à l'herbe dans notre région, les labours n'ont pas complètement disparu.

Chaque exploitation garde deux ou trois hectares en cultures, qu'on sème en blé, en céréales secondaires, et dont on réserve une part pour la betterave et la pomme de terre .

Les céréales donnent une partie de la paille nécessaire à l'exploitation, betterave et pomme de terre sont réservées aux vaches laitières.

La proportion des terres en cultures n'excède guère 5 % du total en Brionnais, mais dans le Charolais proprement dit elle atteint déjà 10 à 12 % et lorsque nous passons sur les terrains granitiques, la proportion des terres mises en culture monte jusqu'à 50 %.

La tendance, générale en France, à l'accroissement de la surface des prés se retrouve ici. Les embouches sont en herbe depuis au moins deux siècles. Mais ensuite en Brionnais les terrains plus secs, calcaires, où l'on cultivait les céréales et même la vigne ont reçu eux aussi les bœufs blancs et dans les régions granitiques les prés s'étendent chaque jour davantage, sur des sols peu favorables à l'herbe et où en tout cas l'embouche est à exclure. Aussi notre région connaît-elle de nombreuses spéculations animales autres que l'embouche.

b) L'élevage

L'élevage, au sens restreint du terme est fort pratiqué même au cœur du Charolais, et là encore la carte géologique l'explique, qui montre l'extrême variété des terrains sur de courtes distances : les embouches véritables, répétons-le, n'occupent qu'une superficie relativement restreinte.

Élevage des maigres.

Élevage d'animaux de race charolaise bien sûr. La fortune du pays est sans doute liée à la qualité de ses prés, mais elle doit beaucoup également à cette belle race, croisement de Durham et d'animaux d'origine indigène qui fut créée au XIXe siècle. Un herdbook a été fondé en 1921 pour en maintenir les qualités.

L'élevage en Charolais se caractérise par la manière d'alimenter le bétail.

Les veaux sont nourris exclusivement au lait et sevrés très tard. Cependant il existe deux systèmes possibles : on peut mettre au pré ensemble veau et vache et le veau tète quand il veut et s'habitue peu à peu à brouter. On peut aussi, et c'est le second procédé, séparer la mère du veau et ne les réunir à l'étable que deux à trois fois par jour. L'hiver les jeunes reçoivent de la paille et du foin, mais aussi des betteraves et topinambours. Traditionnellement, l'hiver, les vaches d'élevage, les bouvillons et génisses n'avaient que de la paille et du foin dans la proportion de 2 à 1. On y ajoute maintenant fréquemment des tourteaux, de la farine d'orge et de seigle.

L'élevage des reproducteurs.

Il se pratiquait autrefois peu ou prou dans toutes les fermes d'élevage : on réservait les plus beaux sujets pour la reproduction. Maintenant de plus en plus certaines exploitations se spécialisent dans cet élevage, à cause des soins particuliers qu'il demande.

Le herd-book favorise aussi la spécialisation car pour faire des reproducteurs susceptibles de se vendre un bon prix, il faut une étable inscrite au herd-book : c'est pour les gens extérieurs au Charolais, surtout pour les étrangers une garantie de qualité. Or il faut de gros capitaux pour avoir une étable entière inscrite au herd-book, ce qui limite le nombre des fermes qui élèvent les animaux pour la reproduction.

On a d'ailleurs fait certains reproches au herd-book : celui d'être un circuit fermé puisque n'y sont admis que les descendants des bêtes qui furent immatriculées à la fondation en 1921, ce qui interdit un apport de sang neuf. D'ailleurs, les Britanniques par exemple, maîtres en matière de sélection n'ont pas ce souci exagéré d'éviter les croisements. De plus, certaines pratiques d'éleveurs peu scrupuleux ont pu le déconsidérer. Les lois des grands nombres veulent que dans un élevage il naisse chaque année à peu près le même nombre de mâles et de femelles ; or seuls les mâles sont intéressants pour l'éleveur de reproducteurs. Certains ont donc été tentés d'élever subrepticement leur proportion en remplaçant les femelles par des veaux de boucherie achetés à la foire de St-Bonnet-de-Joux réputée pour ses excellents produits. Il est arrivé ainsi qu'une écurie de 20 vaches donne 20 mâles.

De surcroît, certains bons spécialistes estiment que mieux vaut un bon veau non inscrit, qu'un animal inscrit mais de conformation moyenne.

Quoiqu'il en soit, la réputation du herd-book a abouti à une concentration de l'élevage des reproducteurs dans un nombre plus faible d'exploitations plus importantes. On ne peut en effet se contenter d'avoir une vache ou deux inscrites, ceci pour une raison en quelque sorte statistique.

On admet en effet que dans un élevage, chaque année 25 % des veaux sont considérés comme bons, 50 % sont considérés comme moyens et 25 % ne sont que médiocres. Ce sont les bons qui paient les autres. Ceux qui n'ont que quelques vaches inscrites complètent leur profit en élevant des animaux destinés à l'embouche.

L'allaitement naturel est le seul pratiqué. Les futurs reproducteurs sont nourris au lait le plus tard possible dans l'année et parfois même à l'aide de deux ou même trois nourrices. Ceux qui promettent sont traités princièrement, reçoivent des rations surabondantes ; on les place sur des claies en bois pour éviter qu'ils ne perdent leur poil qu'on peignera spécialement le jour du concours, afin de donner une impression de plus fort volume. On voit ainsi des taurillons de neuf mois pesant 500 kg.

Un veau primé peut se vendre à des prix fabuleux. Mais c'est exceptionnel. Ces prix sont en général payés par des étrangers, alors qu'un éleveur du pays sait que les prix sont souvent surfaits. Il arrive que deux éleveurs de la région se mettent d'accord pour échanger deux très bons animaux. Mais ce troc sera officiellement une vente à un prix qu'on gonflera artificiellement pour impressionner tel acheteur venu d'Amérique du Sud.

Il n'en reste pas moins que l'inscription d'un animal au herd-book constitue pour lui une sorte de prime à la vente : on admet qu'une vache d'élevage inscrite se vend 30.000 francs de plus qu'une bête non inscrite, toutes choses égales d'ailleurs.

c) Veaux de boucherie

A l'élevage des bêtes vendues maigres et à celui des reproducteurs s'ajoute encore l'élevage des veaux de boucherie. Il est surtout pratiqué dans les petites exploitations des pays granitiques, alors que celui des reproducteurs se pratique dans les communes entourant Charolles.

Les veaux de boucherie sont gardés à l'étable. Ils tètent leur mère trois fois par jour et lorsque cela ne suffit pas, on complète leur alimentation par des farines diverses, ou même en leur cassant un œuf dans la bouche ! Gaspillage éhonté de calories disent les agronomes. Sans doute ont-ils raison. Mais c'est une spéculation bien assise et rémunératrice.

Élevage des « mulots » aussi. Ces animaux souffrent d'une hypertrophie du train postérieur et possèdent un squelette très fin. Ils ont les qualités de la race mais si accentuées qu'ils sont des monstres. On les vendait autrefois à l'âge de deux mois car ils sont fragiles. On les élève maintenant jusqu'à trente mois avec un luxe de précautions : ils se vendent plus cher qu'une bête grasse ordinaire, leur rendement en viande étant plus élevé.

Enfin, la région nourrit aussi nombre de vaches laitières. On vend la crème et on réserve le petit lait à l'alimentation des porcelets, ou bien on fait du beurre, habitude prise pendant la guerre alors que la livre de beurre servait d'étalon monétaire.

Voici donc un faisceau d'activités fort diverses, mais qui dépendent toutes d'un certain nombre de facteurs communs : la qualité exceptionnelle des prairies d'embouche d'abord, ensuite la présence et le maintien d'une race bovine d'élite utilisant au mieux les possibilités naturelles et enfin la proximité de Lyon, centre de consommation qui dès les débuts de l'embouche, au XVIII° siècle a été le débouché essentiel.

Cet ensemble de conditions favorables n'a cependant pas suffi à éviter au Charolais-Brionnais des difficultés sérieuses. Peut-être les exploitants, confiants dans la force que leur donnaient les avantages qu'on vient d'énoncer n'ont-ils pas assez ressenti la nécessité d'une évolution.

II. - Caractères économiques de l'élevage et de l'embouche

1) Deux spéculations extensives.

Élevage et embouche tels qu'ils sont pratiqués en Charolais-Brionnais ont en commun quelques traits économiques fondamentaux : leur caractère extensif et la faiblesse du revenu à l'hectare qui en résulte.

Une analyse d'une excellente embouche charolaise nous convaincra du rendement faible de cette spéculation.

Voici un pré sis à Oyé, classé en première catégorie, c'est-à-dire une des toutes premières embouches du Brionnais.

Ce pré a une superficie de 3 ha 10. On met sur ce pré lors de la première charge 7 châtrons de 3 ans. A la seconde charge, on en met 3.

On peut calculer en unités fourragères (UF) le rendement de ce pré, un des meilleurs du Brionnais tout entier, l'unité fourragère étant l'énergie nutritive globale apportée à l'animal par un kg d'orge en grains ou son équivalent en foin.

En se plaçant dans une des conditions moyennes on arrive au chiffre de 4500 UF par an.

Ce rendement peut paraître honorable. Les prairies permanentes de la Hollande occidentale atteignent 5000 UF par an en moyenne. Mais ce chiffre est en Charolais un maximum rarement atteint et il n'est pas douteux que les prairies permanentes sur terrain granitique n'atteignent pas la moitié de ce chiffre. La moyenne régionale n'atteint certainement pas 2500 UF par an.

Or 5000 UF par hectare sont un rendement fréquent en prairie temporaire, dans d'autres pays européens et dans les Monts du Lyonnais, sur un terrain cristallin et avec un climat plus sec on dépasse ce chiffre. Avec le même système de culture, on obtient 10.000 UF sous climat océanique.

Ceci prouve que le Charolais partage l'infirmité technique de la prairie permanente française, la grande faiblesse des rendements. La très bonne qualité du sol des embouches ne fait que limiter cet inconvénient. Sans doute ne faut-il pas attribuer à nos chiffres une valeur absolue. Ils ne tiennent compte que de la quantité d'herbe et non pas de sa qualité. Mais il n'en reste pas moins que l'embouche charolaise est menée suivant des méthodes extensives.

On laisse de l'herbe en décembre pour nourrir les bêtes à la fin de l'hiver et la plus grande partie de cette herbe est perdue. D'autre part l'emboucheur préfère perdre de l'herbe plutôt que d'être obligé de vendre dans de mauvaises conditions des animaux à demi-engraissés lorsque la sécheresse se fera sentir.

Le nombre de bovins à l'hectare, faible eu égard aux libéralités de la nature augmentera peut-être sensiblement dans les prochaines années avec la pratique de l'épandage des engrais. C'est en effet un travail nouveau dans notre région. Sans doute a-t-on commencé dès le début du siècle, sur les prés de fauche à répandre des scories potassiques, fertilisateur particulièrement actif sur les terres décalcifiées. Les prés de fauche reçoivent également un peu de fumier. L'habitude s'est étendue aux herbages d'élevage et même aux embouches de qualité moyenne, le but recherché étant de faire « démarrer » l'herbe plus vigoureusement au printemps.

On commence à distribuer des engrais même aux embouches de premier fond et cela est nouveau. Les emboucheurs ont beaucoup hésité avant de s'engager dans cette voie. Ils déclarent volontiers qu'ils préfèrent gagner 10.000 francs en vendant un animal au moment opportun, plutôt que 3000 francs grâce aux engrais chimiques. Réflexion qui montre bien que l'emboucheur est autant un commerçant qu'un paysan. Cependant, comme les deux gains ne semblent pas a priori incompatibles, beaucoup fertilisent maintenant leurs embouches à l'aide de scories. La commune d'Oyé a même acheté en coopération un distributeur d'engrais, ce qui est un signe, car elle passe pour posséder les meilleures embouches du Brionnais.

Pour être juste il faut dire que les résultats ne sont pas toujours concluants et que les agronomes avouent savoir peu de choses à ce sujet. Il est relativement aisé de faire passer à coup d'engrais chimiques et avec des espèces appropriées le rendement d'un champ de blé de 15 à 30 quintaux à l'ha. Il est beaucoup plus difficile de doubler le rendement en herbe d'une prairie permanente.

L'amélioration due aux engrais est plus sensible sur les terrains secs, granitiques par exemple où l'effectif bovin a augmenté de 1/10 environ en 20 ans et où les étables sont archicombles en hiver.

Mais le rendement en herbe d'un hectare de prairie reste faible. Cela est vrai sans doute surtout dans les régions de sol cristallin, mais aussi pour les embouches. Et cela se comprend si l'on songe que les prés sont encore exploités actuellement selon des techniques qui n'ont absolument pas varié depuis plus de deux siècles, puisque en de multiples points les engrais chimiques n'ont pas encore acquis droit de cité. On ne met pas plus d'animaux par an sur une embouche que vers 1780. Charge et décharge des embouches sont des pratiques qui dans leur essence ne sont pas différentes de celles du nomadisme pastoral.

Ce caractère extensif est une cause permanente de faiblesse, parce qu'il est une des raisons principales de l'insuffisance des bénéfices procurés par les spéculations herbagères.

2) Faiblesse du rendement financier.

On n'entend pas sans surprise affirmer dans la région que l'embouche est « un métier de gagne-petit ». Cela renverse les notions apprises. Tous les emboucheurs sont d'accord pour dire que depuis 1945, le rapport de l'embouche est faible, eu égard à l'importance des capitaux engagés. L'embouche ne paie plus.

Il est difficile d'évaluer le bénéfice net qu'on peut retirer d'un ha d'embouche. Nous reproduirons les calculs de M. Devillard datant de 1954 [3]. On se place dans le cas où l'emboucheur loue son pré, cas fréquent et qui rogne beaucoup les bénéfices puisque en 1954 le prix de location pouvait aller jusqu'à 22.000 francs l'ha et s'établissait en moyenne à 17.000 francs l'ha. Les trois exemples choisis par M. Duvillard (différents par la qualité des animaux et des prés pâtures) montrent que le rendement par ha est respectivement de 20.000 francs, 8500 francs et 5250 francs par an, le revenu étant évidemment plus fort pour les pâturages et animaux de meilleure qualité. Sans doute s'agit-il de prés de location, ce qui diminue beaucoup les profits mais ces exemples ne sont pas inventés et peuvent être tenus pour significatifs.

Depuis 1954, les prix des animaux gras ont cependant augmenté, d'où une amélioration correspondante des bénéfices. Mais on peut tenir pour sûr qu'en 1958, les bénéfices étaient compris entre 12.000 et 30.000 francs à l'ha selon la qualité des fonds.

Le revenu brut ou net d'une exploitation d'élevage est plus malaisé à évaluer, car les animaux ne sont souvent vendus qu'au bout de deux ans. On estime [4] cependant que le revenu brut des exploitations d'élevage et d'embouche n'est pas sensiblement différent et peut se monter à 50.000 francs à l'ha, le revenu net oscillant entre 15.000 et 25.000 francs.

On peut s'étonner dans ces conditions que le prix des herbages soit si élevé, à la location comme à l'achat. Une ferme des monts du Charolais en terrains granitiques ayant la moitié de sa surface en labours se vend 100.000 à 150.000 francs l'ha. Mais en 1957 une embouche de 17 ha s'est vendue 14 millions de francs et un pré de toute première qualité peut atteindre un prix double, l'équivalent d'un ha de pêchers dans la vallée de l'Eyrieux, dont le revenu pourtant est très supérieur.

Les prix des fonds sont donc surfaits. La réputation des prés est telle que beaucoup de gens même non agriculteurs sont convaincus qu'il n'est pas de meilleur placement que l'achat d'un pré. Aussi lors des ventes les candidats sont-ils nombreux, les non-agriculteurs étant mus par la conviction que les prix de location étant élevés, le rapport sera excellent.

Erreur persistante et d'origine ancienne puisque il y a 100 ans déjà le prix des prés était le double de celui des terres. Posséder des prés dans le Brionnais est un rêve que tous caressent. Pour le transformer en réalité, on est prêt à débourser gros.

Dès lors, ces faiblesses techniques et financières étant connues, on s'explique mieux les transformations profondes que connaissent les deux activités de l'embouche et de l'élevage depuis quelques années.

III. - Les transformations actuelles

a) L'emboucheur devient un éleveur

Si nous comparions la description du métier d'emboucheur telle que nous l'avons esquissée à celle qu'en donne L. Gallois en 1894, nous pourrions en conclure que bien peu de choses ont changé.

Il n'en est rien. L'image de l'emboucheur ne pratiquant qu'une activité saisonnière et passant un hiver sans soucis, ne gardant qu'une vache laitière, un porc à l'engrais, quelques volailles est une image périmée. Tel emboucheur d'Oyé qui a engraissé et vendu pendant l'année 1957 135 animaux a cependant pendant l'hiver 50 bêtes dans ses étables. Ce n'est pas un cas particulier. Tous les emboucheurs gardent maintenant plus d'un an une partie du bétail qu'ils embouchent.

C'est qu'ils achètent plus jeunes les animaux qu'ils vont engraisser et doivent les garder plus d'un an pour les mener à une taille adulte.

De nombreuses régions en effet se sont mises en France à faire de l'embouche et particulièrement de l'embouche d'animaux de race charolaise, connue pour son gros rendement en viande à bifteck. Ces nouveaux venus s'approvisionnent en animaux maigres dans l'aire de la race charolaise. Ils font concurrence aux emboucheurs du Brionnais qui doivent acheter plus tôt pour trouver des bovins de qualité à emboucher.

Parmi ces étrangers qui raflent les bestiaux, les « gens du Nord » (du Nord de la Loire) sont les plus nombreux. Autrefois les « pays du Nord » et singulièrement les fermes à blé des plaines à limon possédaient des attelages de bœufs ou de chevaux. La motorisation tarit cette source du fumier dont ont besoin ces exploitations - les engrais chimiques, en effet, ne permettent pas à eux seuls le renouvellement de l'humus. D'autre part, les céréales secondaires, la pulpe de betterave, beaucoup de luzerne (le « blé de luzerne » a beaucoup progressé au détriment du « blé de betterave ») sont disponibles.

Pour se débarrasser de ces excédents de nourriture, les gens du Nord ont choisi l'embouche qui demande moins de main-d'œuvre que l'élevage pour le lait. Les animaux sont engraissés « au bac », c'est-à-dire dans des parcs voisins des étables. Et ces agriculteurs choisissent de préférence des bêtes de race charolaise. La viande obtenue n'a pas la même qualité que celle que donnent les embouches brionnaises, mais le rendement économique est très bon puisque les animaux embouchés sont des sous-produits dans l'ensemble du système de culture.

D'autre part, des régions de production laitière (en Normandie par exemple) se convertissent en régions de production de viande. En effet la production laitière n'est rentable que si l'on n'emploie que la main-d'œuvre familiale. Les grandes exploitations ont donc intérêt à faire plutôt de l'embouche.

Enfin de nombreuses contrées qu'on décorait autrefois du titre de pays naisseur engraissent maintenant les animaux qu'ils font naître. Grâce aux engrais répandus sur l'herbe, on peut maintenant emboucher des animaux sur des prés de valeur simplement moyenne surtout si on complète l'alimentation au pré par des rations de tourteaux et de condiments minéraux.

Il en résulte une véritable ruée vers les pays producteurs traditionnels de bêtes maigres de race charolaise. Or, comme les gens du Nord ont leur pulpe de betterave, luzerne, etc.. en fin d'été, c'est en fin d'année qu'ils viennent chercher les animaux les plus épais (ceux dont l'engraissement est le plus long et qui fournissent donc plus de fumier). Pour pouvoir se procurer de bonnes bêtes, les emboucheurs charolais doivent eux aussi acheter en fin d'année leurs animaux et les garder l'hiver.

Naguère, la dernière foire terminée à St-Christophe, on ne gardait à l'étable qu'un taureau, deux ou trois laitières et parfois une paire de bœufs de travail. Pour la fête des Rois on se rendait en Auvergne, aux foires de Clermont, Riom, Courpière d'où on ramenait des bêtes rouges, des Salers, achetées aux Auvergnats manquant de fourrage et qui parvenaient à prendre du poids sur les prés brionnais même en hiver. On les liquidait en avril. A partir du 15 février on commençait à mettre du bétail blanc sur les prés.

Ce tableau a bien changé. Les Auvergnats engraissent leurs animaux à l'auge. La concurrence des gens du Nord a fait augmenter le prix des bêtes maigres. Les céréaliers de l'Aisne ou de l'Oise viennent de plus en plus tôt. On en voit dès le mois de juillet et il faut que les emboucheurs aillent leur disputer la marchandise. La période d'achat dure maintenant presque toute l'année pour les emboucheurs.

On estime qu'ils font maintenant hiverner 30 à 40 % du total des bêtes qu'ils embouchent. Ce système permet de vendre en novembre les animaux dont on estime que l'hivernage ne leur donnerait pas une plus-value suffisante. L'hivernage en effet ne se justifie que si les animaux peuvent prendre du poids à l'étable. Aussi choisit-on des bêtes jeunes dont la croissance n'est pas terminée, châtrons surtout. Au printemps on complète le troupeau en achetant des vaches de réforme.

Comme on garde un an ou davantage 40 % des bêtes qu'on embouche, on les achète beaucoup plus jeunes, à 18 mois souvent. Mais on achète également plus jeunes les 60 % qu'on ne gardera que 6 mois à 2 ans ou 2 ans 1/2. Les bêtes de 4 ans n'étaient pas rares, il y a quelques décades dans les foires d'animaux maigres. Actuellement il n'y a plus que les vaches de réforme ou les taureaux destinés à la boucherie qui atteignent cet âge respectable.

Comme on achète les bêtes plus jeunes qu'autrefois, on les vend également plus jeunes, à 2 ans 1/2 ou 3 ans. Mais on ne les vend pas d'après leur âge ; l'emboucheur se sépare de l'animal quand celui-ci est à point ou quand il lui semble qu'il réalisera un bénéfice maximum, même si l'animal n'est pas engraissé au maximum. Les goûts de la clientèle (demande de viande à rôtir) imposent d'ailleurs de vendre jeunes les animaux car ils ont alors moins de graisse de couverture.

On assiste ainsi à un raccourcissement du cycle élevage-embouche.

Les éleveurs s'en sont bien trouvés puisqu'il faut maintenant moins de temps et moins de fourrage pour amener une bête maigre en état de vente. Les emboucheurs au contraire gardent leurs animaux plus longtemps. Ils doivent donc récolter plus de fourrage. Mais l'augmentation de la surface fauchée dans le pays d'embouche ne suffit pas à fournir la nourriture voulue. Le Brionnais doit donc chaque année importer beaucoup de foin. Cela grève singulièrement le budget de l'exploitant car le prix du foin était à la fin de 1957 de 12 francs le kg, et on payait 8 francs le kilo de paille.

La nécessité de faucher beaucoup d'herbe et le fait qu'on ait augmenté le nombre des vaches laitières ont conduit à une diminution de l'herbe disponible pour l'embouche proprement dite, et en Brionnais, le nombre des bêtes embouchées est en légère diminution.

Au total l'emboucheur est devenu pour une part un éleveur, sous la pression des nécessités économiques, et contre son gré car il préfère nettement l'état antérieur où il avait moins à faire.

b) Évolution de l'élevage vers l'embouche

L'évolution de l'embouche vers l'élevage s'accompagne d'une évolution parallèle de l'élevage vers l'embouche.

Pendant la guerre de 1939-1945, comme il suffisait de vendre pour gagner à coup sûr on engraissa partout des animaux, même dans les régions les plus médiocres. L'habitude ayant été prise, elle a subsisté pour une part, les conditions économiques étant devenues plus normales.

Dans le Charolais proprement dit, beaucoup de fermes élèvent toutes les bêtes qu'elles embouchent. Voici par exemple la commune de Ballore où toutes les exploitations sont de ce type sauf deux qui pratiquent seulement l'embouche pure parce que le propriétaire ne réside pas sur place. Quand la proportion des prairies d'embouche est plus faible on se contente d'engraisser par exemple 1/3 de l'effectif, alors que 1/3 est vendu maigre à 18 mois et l'autre 1/3 en « demi-état » pour être « fini » ailleurs.

Mais surtout, la pratique de l'engraissement à l'auge s'est beaucoup développée. On engraisse des animaux d'hiver en les nourrissant de foin, de topinambours, de farine de seigle, de tourteaux, d'aliments complets achetés dans le commerce. Les fermes se consacrant à l'élevage des reproducteurs engraissent de cette façon (et aussi au pré) les animaux qu'elles n'ont pu vendre comme tels.

Cette pratique se développe beaucoup dans les pays dits naisseurs du Charolais granitique (et qui vivent en fait surtout de l'élevage du veau de boucherie). On engraisse ainsi les génisses et les vaches de réforme, d'autant mieux que ces pays ont gardé une forte proportion de leurs terres en culture et disposent ainsi d'aliments utilisables de cette façon (topinambours, avoine). A St-Bonnet-de-Joux située entièrement sur terrain granitique, 20 % des bêtes sont engraissées sur place.

Les pays naisseurs ne méritent donc plus leur nom. Dans une commune comme Palinges, on estime qu'on vend actuellement 1/4 environ des bêtes maigres qu'on vendait avant 1914.

Élevage et embouche tendent ainsi à se rejoindre, à se fondre dans une certaine mesure. La belle division du travail qu'on évoque encore dans les ouvrages géographiques est du domaine du passé. C'est surtout l'éleveur qui en profite, nous le savons, et la ferme mixte élevant les bêtes qu'elle engraisse apparaît la mieux adaptée aux circonstances économiques actuelles. L'ancienne répartition des tâches n'était d'ailleurs pas la marque d'une agriculture intensive, et la raison du succès de la ferme mixte est l'orientation vers la production des bêtes grasses. De cette façon, la polyculture n'est plus une dispersion : on transforme les topinambours en bifteck. Par là cette ferme mixte tend à ressembler aux exploitations du Nord de la France où toutes les productions de la ferme sont liées dans un même système, céréales, viande et engrais animal.

Ces transformations ne sont donc pas seulement une réaction à un manque de bêtes maigres : elles marquent la volonté de rechercher un nouvel équilibre qui puisse se substituer à l'ancien.

Il en résulte en tous cas des modifications dans les types d'exploitations agricoles du Charolais-Brionnais ; les catégories tranchées ont disparu.

c) Les types d'exploitations agricoles en Charolais-Brionnais

Par rapport à la moyenne française, la taille des exploitations agricoles du Charolais-Brionnais se situe dans une bonne moyenne.

La taille est plus élevée dans le Charolais proprement dit : 30 ha en moyenne à Ballore, 22 ha à Palinges. C'est que les propriétés nobiliaires y sont encore nombreuses, partagées en grosses fermes ou métairies. Ceci dans le pays liasique, alors que le pays granitique a des exploitations de taille plus réduite : 12 ha en moyenne à Sivignon seulement.

En Brionnais, les fermes sont de dimensions plus faibles et le faire valoir direct y domine, mais les statistiques sont souvent trompeuses car nombre de locateries (nom qui désigne les petites exploitations) sont des lieux de demi-retraite pour de vieux paysans ou bien sont exploitées à distance par un homme qui réside à la ville voisine, mais garde 1 ha ou 2 d'embouche où il met quelques bêtes qu'il confie à la garde d'un voisin.

Le métayage est en diminution en Charolais comme partout, mais le fermage se maintient bien car les fermiers n'ont que peu d'intérêt à acquérir des fonds, étant donné leur prix excessif.

Les exploitations de moins de 15 ha, les « locateries » ne peuvent vivre de l'embouche, dont le rendement financier est beaucoup trop faible. Elles doivent choisir des spéculations plus rémunératrices. Elles gardent, même dans le Brionnais, une assez forte proportion de leurs terres en labours. Sur une petite exploitation, la main-d'œuvre est habituellement plus importante que sur une grande, et il faut donc choisir des activités qui demandent plus de main-d'œuvre. Il arrive qu'on embouche une bête de temps en temps, une vache de réforme le plus souvent, mais toujours une bête née à la ferme.

Surtout on pratique l'élevage laitier. Le nombre de vaches laitières, des charolaises, mais aussi des montbéliardes et même des hollandaises, a beaucoup augmenté. On vend aux ramasseurs la crème et on conserve le lait écrémé pour l'alimentation des porcelets. Les locateries font naître des porcelets et surtout élèvent des « cochons de repasse » achetés alors qu'ils pèsent 15 kg et revendus quand ils en pèsent une quarantaine.

Les vaches sont également intéressantes en ce qu'elles permettent l'élevage des veaux de boucherie, revenu essentiel pour les locateries du pays liasique et pour toutes les exploitations du pays granitique.

Ainsi une notable proportion des exploitations charolaises ne pratique pas l'embouche ou ne le fait qu'à l'occasion.

A l'autre extrémité de l'échelle se trouvent les grandes exploitations d'embouche. Nos propos ont pu paraître contradictoires. Si l'embouche est effectivement un métier de gagne-petit, comment expliquer que les emboucheurs vous recevant dans des intérieurs où trônent tous les attributs de la prospérité bourgeoise moderne, exhibent tant de « signes extérieurs de richesse ».

C'est que l'essentiel de leurs revenus ne vient pas d'activités proprement agricoles. On a vu les relations que les emboucheurs entretiennent avec les milieux de la boucherie en gros lyonnaise. Ces liens ne sont pas seulement familiaux. Un emboucheur disposant d'une certaine fortune est tenté de répartir ses capitaux et ses risques sur les activités commerciales qui prolongent l'embouche. Un emboucheur se transforme toujours facilement en marchand de bestiaux, fournissant directement un chevillard et écoulant ainsi ses propres bêtes dans les conditions les plus favorables. Inversement un marchand de bestiaux peut devenir accessoirement un emboucheur avec beaucoup de facilité puisque les embouches se louent pour une saison seulement. On voit ici la fluidité de la notion d'exploitation agricole. Dans ces cas-là on peut être sûr que c'est le commerce qui fournit l'essentiel du profit et non pas l'embouche proprement dite. Or, tout emboucheur est toujours prêt à se transformer en commerçant. Cependant il existe une notable proportion d'emboucheurs qui sont avant tout paysans. Ce sont eux qui, lorsqu'ils ne disposent pas de superficies assez vastes, méritent l'appellation de « gagne-petit ».

L'emboucheur tend aussi à devenir éleveur. Le nombre des vaches laitières s'est accru dans toutes les exploitations d'embouche, qui ne négligent pas non plus les profits de l'élevage des porcs. De plus, toutes ces exploitations se consacrent maintenant aux veaux de boucherie. On achète pour cela des « paquets ». Un paquet est l'ensemble formé par une vache et son veau âgé de quelques jours.

On peut alors procéder de deux façons: soit laisser le veau libre avec sa mère sur le pré (c'est alors un « broutard »), soit plutôt l'élever en veau de boucherie, ce qui permet de vendre le veau trois mois après l'achat pour 30.000 francs alors que le paquet en a coûté 90.000. On récupère ainsi le 1/3 des fonds engagés. La vache ainsi libérée peut prendre du poids rapidement et être vendue en fin d'année.

De même les exploitations d'embouche se consacrent volontiers à l'engraissement des « mulots ».

Or, ces techniques d'engraissement des mulots ou des veaux de boucherie sont du travail d'éleveur. L'emboucheur les pratique car elles sont financièrement plus rentable que l'embouche pure.

Voici donc un premier type d'exploitation d'embouche qui prospère d'une part grâce à ses profits commerciaux, d'autre part en vendant gras des animaux achetés très jeunes et gardés plus d'un an, enfin en complétant cela par les produits laitiers et les veaux de boucherie.

Un second type de domaine d'embouche est celui qui cherche du côté de l'élevage les profits que l'embouche pure ne fournit plus. Nous avons déjà décrit cette ferme mixte. Il en existe de plusieurs sortes, depuis celles qui embouchent à l'auge 1/3 ou 1/4 des bêtes qu'elles font naître, jusqu'à celles de la vallée de l'Arconce qui embouchent tous les animaux nés dans le domaine. Dans le haut pays granitique, les veaux de boucherie s'y ajoutent.

Enfin, des fermes pratiquent l'élevage des reproducteurs. Mais ces fermes peuvent être assimilées à des fermes d'élevage de maigres ou d'embouche. En effet, une partie seulement des veaux produits peut être vendue comme reproducteurs.

Toutes les femelles et les mâles présentant quelques défauts doivent être écoulés d'une autre façon. Une première solution possible est de les vendre maigres à 18 mois. Une autre est au contraire de les engraisser au pré et à l'auge. Une troisième, souvent adoptée est de les vendre immédiatement pour la boucherie.

Or la vente de tous ces animaux, il faut y ajouter les vaches de réforme, n'est pas l'accessoire pour une telle ferme, loin de là. C'est une ressource plus régulière que la vente des reproducteurs, dont les profits sont évidemment assez aléatoires et variables.

Cet essai de classification inspire quelques remarques. Dans le choix des spéculations que telle exploitation pratique, les qualités des prés importent peut-être moins que la taille de l'exploitation. C'est leur taille restreinte qui interdit l'embouche aux locateries du Brionnais, celle-ci, par son caractère extensif demandant de grandes superficies pour procurer des revenus suffisants. De même, pour des raisons que nous avons données, les petites fermes ne peuvent se consacrer à l'élevage des reproducteurs.

En même temps que la taille de l'exploitation intervient la nécessité d'occuper la main-d'œuvre, plus abondante dans les petites fermes, à des activités qui exigent davantage de travail : élevage laitier, culture de céréales ou de plantes sarclées.

d) Le Charolais devant la révolution fourragère

Cette disparition de l'embouche pure, ce développement d'exploitations mixtes suffiront-ils à tirer l'élevage Charolais de l'ornière et à améliorer sa situation économique ?

Les insuffisances dont souffre le Charolais-Brionnais sont le lot de toutes les régions herbagères françaises. L'agriculture nationale montre un retard important, technique et économique, des régions pastorales sur les régions de cultures. C'est un fait de première importance et pas assez souligné.

Les techniques de l'élevage et surtout de l'embouche pouvaient au début du XIXe siècle paraître intensives, comparées aux cultures qu'on pratiquait dans les régions voisines. Or depuis cette époque, ces techniques traditionnelles de l'élevage et de l'embouche n'ont pratiquement pas varié, alors que les cultures de céréales, grâce à l'emploi de variétés de blés et d'engrais appropriés pouvaient tripler ou quadrupler leur rendement.

Il serait grave que ce retard fût impossible à combler car la conversion des terres en prés, souhaitable puisque nous manquons de produits animaux aboutirait à une régression technique.

Il n'en est heureusement rien. Une augmentation énorme des rendements des prairies est possible, au moyen d'une « révolution fourragère » [5].

Ce nom triomphant dissimule une technique employée depuis longtemps déjà dans les pays Scandinaves et en Grande-Bretagne. La prairie permanente, sur les sols qui ne conviennent pas spécialement à l'herbe, ayant un fort mauvais rendement, il faut la retourner à intervalles réguliers, ensemencer en céréales pendant deux ans, puis revenir pour cinq ans à la prairie grâce à un semis de diverses espèces et labourer à nouveau.

Sans doute le procédé n'est-il pas neuf. Le retournement périodique des prés est dans la région une pratique bien connue. Mais c'est une pratique qui se perd, par manque de main-d'œuvre. Or la surface consacrée à l'herbe est en continuel accroissement et elle s'accroît dans les zones où elle n'est pas à sa place, les zones favorables étant en herbe depuis longtemps. C'est donc l'étendue de la mauvaise prairie permanente qui s'accroît. La révolution fourragère propose le retour à la prairie temporaire. Nous avons parlé des résultats obtenus sur les terrains cristallins des Monts du Lyonnais (5 à 6000 UF par ha et par an).

Le Charolais-Brionnais peut-il aussi faire sa révolution ? Il n'est pas question de retourner les remarquables embouches du Brionnais car la prairie temporaire n'a pas prouvé sa supériorité en matière d'embouche mais seulement d'élevage laitier. Pour les prairies d'embouche, on devra plutôt rechercher une amélioration dans l'épandage des engrais, en particulier d'engrais azotés judicieusement distribués. Le problème se pose au contraire dans les régions de prés médiocres.

Certains essais de prairie temporaire ont déjà été faits en Charolais-Brionnais. N'en dissimulons pas les difficultés. La technique est d'application délicate. Il faut alterner fauche et pâture, mettre des engrais azotés après chaque pâture, diviser le pré à l'aide clôtures électriques, préparer minutieusement les semis d'herbe sur un sol très meuble. Le paysan doit suivre avec précision les directives d'un technicien agricole. De plus l'abondance de l'herbe qu'on récolte par ce moyen nécessite un accroissement du cheptel. Le coût de la transformation est élevé et le blé fait en assolement avec l'herbe ne peut suffire à la payer. De plus il faut envisager l'agrandissement des étables et la construction de silos pour le fourrage.

Il en résulte au début une baisse des recettes nettes. D'autre part les fermes charolaises sont souvent dépourvues de matériel de culture, car elles n'ont qu'une faible superficie en labours. Enfin, dans les grandes exploitations il n'y a parfois qu'un homme pour 50 ha, et la transformation en prairie temporaire suppose un accroissement du travail.

Toutes ces raisons expliquent l'accueil réticent qui a été fait à ces nouveautés. Les emboucheurs ne sont pas près de retourner leurs prés de qualité médiocre. Quand on a 50 ha d'embouches on vit largement en suivant le système traditionnel, on n'éprouve pas le besoin de prendre les mancherons de la charrue et de faire une « révolution ».

Les éleveurs et les petits exploitants en général ont été davantage séduits par la chose. L'herbe obtenue par prairie temporaire est bien adaptée à l'élevage laitier et à l'élevage des jeunes et on dispose dans ces exploitations de plus de main-d'œuvre. Mais le manque de capitaux contraint à faire la transformation hectare par hectare.

Bien que la voie soit semée d'obstacles, c'est à n'en pas douter celle à suivre et plusieurs exploitations s'y sont engagées. L'amélioration technique est le fondement nécessaire à l'amélioration financière. Est-il suffisant ? Il faut encore que les productions animales soient rentables et ne subissent pas de trop grandes variations de prix.

N'allons pas quitter notre Charolais sur une note trop pessimiste. La région a des atouts qui demeurent : la qualité des embouches, une race bovine d'élite et jusqu'à cette habitude des questions financières que les exploitants charolais ont acquise. Elle s'est attachée exclusivement jusqu'à présent à la qualité. Les difficultés sont celles des productions de luxe qui ne se soucient pas assez de rendement.

Mais au total notre conte n'est-il pas très moral qui conclut que le petit paysan qui retourne son champ est mieux récompensé que le gros emboucheur qui regarde pousser l'herbe ?

Références

[1] J.-P. DEVILLARD, L'embouche en France, Thèse vétérinaire, Lyon, Imprimerie des Beaux-Arts, Camille Annequin, p. 79.
[2] J. LABASSE, Les capitaux et la région. Thèse de Lettres. A. Colin, Paris, 1956
[3] Ouvrage cité.
[4] Bulletin technique d'Information des Ingénieurs des Services Agricoles. Mars 1958, n° 128. BARRAT et CHANTIOUX, Prairie permanente et prairie temporaire en pays Charolais.
[5] R. DUMONT et P. CHAZAL, La nécessaire révolution fourragère et l'expérience lyonnaise. Journal de la France Agricole. Paris, 1955.

Bibliographie

GALLOIS (L.), Mâconnais, Charolais, Beaujolais, Lyonnais. Annales de géographie, 1894.

Compléments :

- Fusion des herd-books des races bovines charolaise et nivernaise, Bulletin de la société départementale d'agriculture de la Nièvre, janvier-février 1919.
- Fermeture du herd-book charolais, Le Figaro Économique, édition du 30 mars 1925.
- De l'art d'engraisser les bovins dans le berceau de la Charolaise, Dominique FAYARD, Anthropozoologica, 48 (1), 137-151, 2013.

Carte géologique du Charolais-Brionnais Régions agricoles du Charolais-Brionnais

Carte géologique et régions agricoles du Charolais et du Brionnais - Cliquez sur une figure pour l'agrandir
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