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Deux physiciens du Brionnais au XVIIIe siècle

Source : Le Journal de Physique, Tome XXXII, 1788


Lettre écrite par M. CARMOY, docteur en médecine à Paray-le-Monial en Bourgogne, correspondant de l'Académie de Dijon à M. le marquis de VICHY

Paray-le-Monial, le 20 Octobre 1787.

Permettez, Monsieur le Marquis, que je trouble votre retraite. La dernière fois que je vous quittai, je vous trouvai pénétré d'admiration de l'effrayant, mais du superbe spectacle que l'orage qui a désolé nos campagnes, et ravagé nos vignes, vous avait donné. Je vous envoie deux observations que j'ai faites avec le plus grand soin , et qui ne vous intéresseront pas moins.

On a pensé dans tous les temps que la foudre était lancée des nuées sur la terre, et ce n'est que depuis peu qu'on a observé que le tonnerre en sortait quelquefois pour se porter aux nues. Il n'y a rien en cela que de très conforme aux principes électriques. MM. l'Abbé Chappe, Cassiny, Prunelay et plusieurs autres, ont communiqué des observations décisives, et les deux que je vais vous rapporter en augmenteront le nombre.

J'étais l'été dernier à Tancon, village du Beaujolais, où, quelques jours auparavant, un homme qui s'était mis sous un arbre, avait été tué par le tonnerre [ Il s'agit de Pierre BILLON, 22 ans, décédé le 12 juin 1787, « mort subitement d'un coup de foudre » ] ; ses vêtements avaient été déchirés en lambeaux, ainsi que ceux de son camarade qui s'était également réfugié sous le même arbre, mais qui n'eut d'autre mal qu'une asphyxie momentanée. Leurs cheveux furent enlevés et portés sur le haut de l'arbre. Un cercle de fer qui liait le sabot de l'un d'eux, fut porté aussi sur une branche élevée du même arbre, à laquelle il resta accroché.

J'observai dans la terre, sous un arbre placé à trois ou quatre pieds de celui sous lequel avait été foudroyé le malheureux, et asphyxié l'autre, un trou rond, évasé par le haut, et se recreusant en forme d'entonnoir, A quelques pieds au-dessus la première écorce du tronc de l'arbre était enlevée ; la seconde était soulevée de bas en haut, non en larges bandes, mais en petites lanières en forme de découpures. A côté était l'arbre sous lequel s'étaient abrités les deux hommes. Leurs vêtements déchirés en petites pièces étaient parsemés autour des arbres. Un mouchoir de soie que l'un d'eux avoir au cou, fut seul excepté. La partie intérieure de l'arbre n'avait aucun mal ; mais à dix pieds de hauteur, l'écorce avait été emportée, ainsi que des éclats considérables du corps même de l'arbre. On voyait un grand nombre de longues esquilles, séparées de bas en haut, qui renaient à l'arbre par leurs parties supérieures. Les feuilles étaient desséchées d'un côté, et de l'autre elles avaient conservé leur verdure.

La marche de la foudre est aisée à suivre ; elle est sortie de terre au pied du premier arbre par l'entonnoir dont j'ai parlé ; de là elle s'est élevée et en a détaché l'écorce ; ensuite, parvenue à la hauteur de deux ou trois pieds, elle l'a quittée, s'est élancée sur les deux hommes qui étaient sous l'arbre voisin, a tué l'un, asphyxié l'autre, déchiré en lambeaux leurs vêtements, transporté les cheveux et le cercle de fer au haut de l'arbre, l'a dépouillé de son écorce, détaché des éclats considérables dans son ascension, a soulevé des lanières qui ne peuvent, selon l'état des choses, avoir été prises que de bas en haut. Enfin elle a frappé les feuilles qui se sont entièrement desséchées, ainsi que cela arrive aux plantes qui reçoivent une trop forte commotion, et ensuite s'est portée à la nuée dont le dépouillement avait attiré le coup fulminant.

J'oubliais de vous dire que, quelques moments avant, le coup de tonnerre qui fut bref et sourd, il était parti un coup excessivement éclatant.

Serait-ce là un signe caractéristique de l'ascension de la foudre ? Le premier coup aurait-il désélectrisé la nuée, et le second lui aurait-il rendu ce que le premier lui aurait enlevé ?

L'habitude de voir la foudre sortir des nuées, l'ignorance profonde où l'on était des principes et de la théorie de l'électricité, ainsi que de son identité avec le tonnerre , les systèmes sur la formation de ce terrible météore devaient naturellement éloigner l'idée de son ascension ; mais depuis que la marche de la matière électrique est connue, ce phénomène n'a plus rien qui étonne. Depuis longtemps on avait des observations qui auraient dû conduire à cette vérité. Dans les éruptions du Vésuve et de l'Etna on voit des sillons électriques sortir de la bouche de ces volcans, sillonner la colonne de fumée qui s'élève des cratères, s'élancer et produire sur les corps voisins, les effets ordinaires de la foudre. M. le Chevalier Hamilton en rend témoignage dans la belle description qu'il a faite de l'éruption de ces volcans en 1767, 1779 et 1783.

Voilà une seconde observation, M. le Marquis, qui vous intéresse personnellement, ainsi que tous ceux qui s'occupent d'électricité ; elle vous apprendra à ne point faire d'expérience dans les moments d'orage, surtout quand il tonne.

Le 11 octobre 1787 fut extrêmement orageux. Mon appareil électrique venait d'être chargé de quelques tours de roue, et j'avais tiré du conducteur principal une étincelle qui dut emporter une grande partie de la charge. Nous étions plusieurs. Quelques instants après nous aperçûmes sur les grands conducteurs qui ont 25 pieds quarrés de surface, une lumière électrique accompagnée d'une assez forte explosion, et au même instant, un grand coup de tonnerre.

Vous savez que mon appareil est bien isolé ; aucun corps n'est à portée d'en tirer une étincelle ; le seul qui en eût été capable était la boule de l'électromètre qui était à un pouce du conducteur principal, et placée à 5 ou 6 pieds au-dessus des grands conducteurs. C'est de ceux-ci qu'est partie l'explosion spontanée. L'étincelle ne s'est point portée à la terre, réservoir commun, puisque le seul corps qui pouvait y transmettre ne l'a pas tirée. Elle s'est donc élancée dans l'air. Il a fallu qu'elle ait été bien puissamment attirée par un corps électrisé en moins, relativement à mon conducteur.

Le coup de tonnerre qui est parti au même instant a une relation trop directe avec le phénomène dont il s'agit, pour ne pas laisser croire que la nuée qui était au-dessus de mon appareil, était ce corps négatif qui a excité l'explosion qui nous étonna, ainsi que le coup fulminant qui partit au même instant.

Si l'appareil eût été chargé complètement, si quelqu'un se fût trouvé à portée, il aurait pu arriver ce qui arriva au malheureux Ricman ; l'étincelle attirée du conducteur aurait pu déterminer la matière fulminante sortant de terre, à prendre sa route à travers la personne qui aurait établi la communication. Il faut sans doute des circonstances combinées pour que ce malheur ait lieu, mais la possibilité existe ; ainsi, dorénavant interrompez toute expérience électrique dans un temps d'orage, c'est le conseil de quelqu'un qui vous a voué l'attachement le plus véritable, et qui a l'honneur d'être, etc.

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